QUELQUES LIVRES richesse extrêmes, qui ne peuvent être que le fruit d'un énorme travail de dépouillement 1 • Cette manne de faits et de dates est présentée de façon confuse et elliptique, sans le contexte qui permettrait de s'y retrouver. En fait, le livre est inutilisable pour le profane, qui ne peut rien comprendre à ces obscures querelles entre le Co-Sec et l'U.I.E., entre l'A.G.E.T. et l'U.G.E.T., entre l'A.G.E.A. et l'U.G.E.M.A .... Il y faudrait des explications à la fois amples et claires. A cette condition, on verrait quelle a été l'importance de cette agitation étudiante entre 194 5 et 1962. Importance capitale dans les pays d'Afrique et d'Amérique latine où elle a implanté l'idéologie ant~colonialiste et où elle a formé quantité de dirigeants, les uns soudés. ensuite à l'appareil des Etats indépendants, les autres restés sous influence soviétique ou, plus souvent encore, passés à Castro ou à Mao ; importance aussi en France, ou l'évolution de l'intelligentsia, le phénomène chrétien-progressiste et plus généralement la « mise à jour » de l'Eglise catholique sont en rapport avec l'action de la Jeunesse étudiante chrétienne qui, dans le syndicalisme étudiant, a tiré les marrons du feu pour le parti• communiste. Il y a là à écrire de beaux chapitres de l'histoire intellectuelle de la France, de l'histoire de la décolonisation et de· l'histoire des luttes d'influence idéologiques dans le monde. Il est vrai que, de toute façon, le tableau a l;,ien changé depuis la date de 1962 à laquelle s'arrête M. Buy. A ce moment-là, l'U.I.E. était en perte de vitesse ; aujourd'hui, c'est le CoSec. En 1962, l'U.N.E.F. était à son apogée ; elle est aujourd'hui en déconfiture. Enfin, c'est aussi dans les dernières années que la scission sino-soviétique a produit tous ses effets dans le monde étudiant, et que, par un phénomène de « seconde génération », beaucoup des révolutionnaires formés par l'U.I.E. sont passés à l'obédience chinoise ou cubaine. M. Buy a donc toutes les raisons de remettre à jour son livre 2 • Il devrait aussi choisir 1. A signaler une erreur de date page 8 : l'occupation de l'Université de Prague est du 17 el non du 15 novembre 1939. 2. Il r.ourralt notamment signaler que l'ancien prJtldent de 1 U.I.E., Pelikan, est à présent directeur de la té1'vl1lon tchèque. Biblioteca Gino Bianco 327 une bonne fois entre le ton du pamphlet et celui de l'étude historique, et enfin corriger l'index nominum aberrant qui clôt l'ouvrage. MICHEL MAILLARD. Une science sociale ÉMILE BENVENISTE : Problèmes de linguistique générale. Paris 1966, Ed. Gallimard (Bibliothèque des Sciences humaines), 356 pp. LES PROGRÈSdes sciences physiques sont mesurables et spectaculaires ; ceux des sciences humaines sont plus discrets. Dans l'étude des langues indo-européennes, les découvertes (déjà anciennes) de M. Benveniste sont comparables aux plus grands succès contemporains de l'électricité ou de l'atome ; son nom n'est pourtant connu que des spécialistes. Ici, dans la façon même de classer en un volume des articles parus d'abord séparément, on retrouve la rigueur logique d'un maître. Les Problèmes de linguistique générale vont de l'universel au particulier, en une suite de mises au point portant sur la linguistique ellemême, ses perspectives et ses méthodes nouvelles, puis sur des applications syntactiques ou culturelles, dont certaines (par exemple sur le génitif latin, pp. 140-48) sont fulgurantes. Aux deux bouts de la chaîne, la linguistique se définit comme science sociale, voire comme étant en rapport avec l'histoire sociale : d'abord en ce que son extension récente (qu'on songe à la prodigieuse fortune du mot « structure », lancé par des linguistes dans des circonstances que rappelle M. Benveniste, pp. 91 sqq.) témoigne de l'évolution de la pensée scientifique au xxe siècle, après l'historisme et le mécanisme du XIXe ; ensuite parce qu'elle vient au secours des recherches sur l'histoire des idées, et ce n'est pas par hasard que l'ouvrage se clôt sur une étude du mot « civilisation », qui complète celle d'un historien, Lucien Febvre, et enrichit notre connaissance du XVIIIe siècle philosophique. JEAN-PAUL DELBÈGUE.
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