322 au mm1stre de l'Intérieur de Nicolas II, que l'Europe· libérale et socialiste cloua au pilori pendant des années, avant son exécution en 1911 par un policier repenti passé au parti socialiste-révolutionnaire, en représailles du traitement qu'il infligeait aux « politiques ». Elle saura établir une comparaison entre les anciennes prisons datant de l'époque tsariste, comme celles de Boutyrka ou de Sverdlovsk (Iékaterinenbourg), où un minimum de respect humain assurait aux condamnés des vestiges, non pas de confort, mais de quelque chose d'encore humain, avec celles où « quelqu'un » qui « avait eu encore plus peur que Nicolas II » terrorisé par la révolution de 1905, avait fait appliquer « au-delà du grillage une très haute hotte de bois, qui faisait régner dans la cellule une obscurité presque totale » (p. 185). Elle n'hésite pas à comparer aux prisons soviétiques Boutyrka; l'ancienne prison de Moscou, où« en comparaison( ...), tout semble( ...) très confortable. La fenêtre est large. La hotte fixée derrière les barreaux n'est pas de bois, mais de verre opaque. Les bat-flanc sont remplacés par de petits lits de camp en bois. Le seau gigantesque, installé dans le coin, est soigneusement fermé par un couvercle » (p. 141). « Ici, les écuelles ne sont pas de fer blanc, mais émaillées. On me sert un potage de viande et de la semoule avec du beurre. Sans doute est-ce un ultime élan humanitaire qui les pousse à concéder ce repas aux condamnés à mort ( il y en a tant dans cette prison). Ainsi se perpétue une tradition inaugurée par un libéral pourri : Nicolas II » (p. 168). Prisons tsaristes, où il y a une bibliothèque, où les dêtenues cellulaires ont droit à deux livres par semaine, et quels livres ... On a oublié de les épurer, ces bibliothèques de prisons, auxquelles la presque totalité des éditeurs russes d'avant 1914 donnaient généreusement pour les « politiques », et où, outre Dostoïevski, Nékrassov, Tioutchev, et bien d'autres, « on pouvait choisir librement de nombreux livres que depuis longtemps on avait retiré des autres bibliothèques » (p. 197). Comment ne pas comprendre - ou comment comprendre - cette phraseclé : « Que de fois, dans les camps, je me suis souvenue avec tendresse de la cellule de Iaroslav! » (p. 197) ... * * * Il faut savoir lire pour donner tout son sens à la réponse d'une des détenues, membre du Parti, elle aussi : 81 11uLt::Ca ljlno Bianco LE CONTRAT SOCIAL Non, je suis tatare ; il leur a été plus aisé de m'inclure dans le groupe des nationalistes bourgeois ... Les trotskistes démasqués dépassaient largement le quota prévu et, malgré l'arrestation de nombreux écrivains tatars, le nombre des nationalistes emprisonnés était encore inférieur au quota ... Cela est expliqué « sans la moindre ironie », comme s'il s'agissait de la « réalisation d'un quelconque plan économique ». Car, « par une logique infernale, chaque région et république devait avoir son quota d'ennemis du peuple pour ne pas se montrer en retard sur la capitale. Exactement comme pour toutes les autres campagnes : campagne pour l'engrangement du blé, pour la livraison du lait » (p. 31 ). Le mépris, sinon· la haine qu'éprouvent Eugénie Guinzbourg et la plupart de ses corn- ~ pagnes pour Staline et pour celles qui continuent à l'encenser, pensant améliorer ainsi leur sort, éclate à plus d'une reprise, et sans restriction. Par contre, la narratrice, bien que ce soit parfois avec une nuance de compassion pour ces « attardées », ne traite pas en ennemies les menchéviks ou socialistes-révolutionnaires qu'elles a rencontrées tant pendant son emprisonnement que pendant l'atroce voyage du wagon n ° 7, ou pendant son séjour .dans les camps de triage ou de travail. ·Elle souligne que leur expérience des prisons ou de la déportation sous Nicolas II ou avant l'époque du « culte de la personnalité » appartient à une période encore humaine, donc dépassée, qui ne correspond en rien aux réalités présentes. Elle se révolte même devant le sort de Nadiejda Derkovskaïa, la socialiste-révolutionnaire, qui a été emprisonnée comme son mari de 1907 à 1917, puis déportée en 1921, à nouveau déportée au temps du « culte » et dont le fils, totalement apolitique, aura été arrêté en 1937 et condamné simplement parce que c'est un crime d'avoir des parents socialistes-révolutionnaires. Et Eugénie Guinzbourg de conclure par ces réflexions plus humaines qu 'orthodoxes : Voici que m'envahissent les pensées les plùs hérétiques : elle est bien fragile, la limite qui sépare l'esprit de principe le plus droit de l'intolérance la plus obtuse ; toute idéologie est relative ; ce qui est absolu, ce sont les tourments que les hommes s'infligent les uns aux autres (pp. 104-111). Dès le premier chapitre, elle écrivait d'ailleurs ces lignes : « Il n'est pas possible qu'une chose semblable soit liquidée simplement comme cela, sans qu'intervienne un châtiment » (p. 7). La notice qui figure au verso de la couverture indique que l'auteur « est, et n'a jamais cessé d'être, une communiste russe ». . Membre du Partj, elle l'est à nouveau quand
RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==