Le Contrat Social - anno XI - n. 5 - set.-ott. 1967

QUELQUES LIVRES Le cauchemar EvGUÉNIA SÉMIONOVNA Gu1NZBOURG : Le Vertige. Chronique des temps du culte de la personnalité. Traduit du russe par Bernard Abbots avec le concours de Jean-Jacques Marie. Paris, Editions du Seuil, 1967, 424 pp. CE N'EST PAS de gaieté de cœur que l'on aborde les souvenirs de ceux qui furent les victimes de l'effroyable époque stalinienne que, pudiquement, et le plus souvent par solidarité, beaucoup appellent l'époque du « culte de la personnalité ». Se replonger dans ce cauchemar, s'y sentir à nouveau écorcher vif, d'autant plus que bien des noms cités rappellent des visages et des êtres connus, est atroce. Cela fait penser à d'autres temps de déportation et d'extermination, plus tardifs, donc plus perfectionnés, et c'est l'auteur de cette chronique qui nous invite à ce rapprochement. Evguénia (Eugénie) Guinzbourg fait dire à l'une de ses camarades de détention : « Les Allemandes qui ont été prisonnières de la Gestapo affirment qu'ils [i.e. : les policiers du N.K.V.D.] ont parfaitement assimilé l'expérience allemande, que c'est le même style » (p. 150). Tout un étage d'une aile de la Boutyrka, sans aucun dou·te équipé des moyens de torture les plus modernes, était réservé aux interrogatoires nocturnes. Clara, qui avait connu les prisons de la Gestapo, soutenait que les instruments utilisés avaient été importés d'Allemagne (p. 154). Clara, c'est la communiste allemande réfugiée en U.R.S.S. (nous sommes en 1937) qui, après avoir montré les cicatrices profondes qui rayent ses cuisses et ses fesses - la Gestapo - montre ses mains, et ajoµte : « Et ça~ le N.K.V.D. ! » « Les bouts de ses doigts sont broyés, violacés, gonflés. Elle n'a plus d'o~gles. Biblioteca Gino Bianco Je crois que mon cœur va s'arrêter », écrit Eugénie Guinzbourg (p. 149). Mais qui est l'auteur de cette chronique, Eugénie Guinzbourg? Nous ne savons d'elle que peu de chose. Ce qu'en disent l'éditeur, les traducteurs et la publicité ? Que c'est « l'incroyable histoire d'une communiste russe ». Incroyable ? Pour qui ? Les périodiques édités à l'étranger par les révolutionnaires russes de 1857 à 1914 avaient reçu des centaines• de mémoires de condamnés ou de déportés politiques, et en avaient publié des dizaines. Mais c'est par dizaines de milliers que les périodiques et maisons d'édition soviétiques ont reçu des manuscrits de souvenirs de déportation, plus ou moins bien écrits, après la publication, en 1962, dans la revue Novy Mir, du bouleversant récit de Soljénitsyne : Une ;ournée d'I van · Dénissovitch, récit dont la résonance fut telle, en U.R.S.S. comme à l'étranger, que l'ordre. fut immédiatement donné de ne plus rien publier sur le sujet. Depuis, les manuscrits - 1 .restent enfouis dans des 'tiroirs. Nous en apprenons d~vantage sur Eugénie Guinzbourg au · cours de son récit. Membre du Parti, après voir appartenu au Komsomol, âgée d'une trentaine d'années, professeur et journaliste à Kazan, ville l.llliversitaire proche de .l'Oural, capitale de la République autonome des Tatars oi:i furent assignés à résidence, surtout pendant le règne de Nicolas Ier, de nombreuses personnalités libérales ou révolutionnaires, mariée à un membre du Comité central exécutif, P. Axionov, également membre du secrétariat du Comité régional du Parti de Tatarie, Eugénie Guinzbourg se trouve accusée en février 1935, sans comprendre ce qui lui arrive. Sans comprendre, car tout au long de la première partie de ses mémoires revient comme un leitmotiv ,,,

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