Le Contrat Social - anno XI - n. 5 - set.-ott. 1967

266 Pétersbourg, je doute que j'eusse pu surmonter la résistance des chefs bolchéviks. La lutte contre le trotskisme (c'est-à-dire contre la révolution prolétarienne) aurait commencé en mai 1917 et l'issue de la révolution aurait été mise en question. Mais je. répète, Lénine présent, la révolution d'Octobre aurait été victorieuse de toute façon. » Donc, sans Lénine, pas de révolution d'Octobre, atteste la plus qualifiée des dramatis personae. Pas un mot du prolétariat, ni des « masses ». D'autre part, le témoin le moins suspect de complaisance envers Trotski a écrit de son côté, dans la Pravda du 6 novembre 1918 : « Tout le travail d'organisation pratique de l'insurrection s'effectua sous la direction immédiate de Trotski, président du Soviet de Pétrograd. On peut dire avec certitude qu'en ce qui concerne le rapide passage de la garnison du côté du Soviet et l'habile organisation du travail du Comité militaire révolutionnaire, le Parti en est avant tout et surtout redevable au camarade Trotski. » Ces lignes sont de Staline, qui ne se paye pas de mots, qui parle non de révolution, mais d'insurrection (le mot russe se traduit aussi par : soulèvement), qui parle de la garnison et du Comité militaire, pas du prolétariat ni des « masses ». Ainsi Lénine a décidé 1e Parti à. renverser le Gouvernement provisoire, après en avoir conçu la possibilité et choisi le moment, Trotski a organisé et dirigé l'opération, ce sont eux les auteurs principaux de la « grande révolution socialiste d'Octobre ». Ils n'étaient pourtant, ni l'un ni l'autre, le prolétariat. Certes à eux seuls, les deux leaders n'auraient rien pu faire. Il y avait un peuple russe las de la guerre, des soldats qui ne voulaient plus se battre, les paysans avides de posséder les terres. Mais quant au reste, les écrits de Lénine sont probants, qui démentent la légende.. * * * DE SA RETRAITE clandestine, le 27 septembre 1917, Lénine écrit au Comité central du Parti : « Ayant obtenu la majorité aux Soviets des députés ouvriers et soldats des deux capitales, les bolchéviks peuvent et doivent prendre en main le pouvoir. » Il estime que cette majorité « agissante » suffit pour « entraîner les masses ». L'heure est venue, croit-il, « parce que la reddition imminente de Pétrograd no~s donnera cent fois moins de chance » (d'après lui, Kérenski voulait livrer Pétrograd aux Allemands, supposition évidemment absurde ou sciemment fausse). Il affirme Bibliote.ca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL que « seul notre parti, après la prise du pouvoir, peut assurer la convocation de l'Assemblée constituante », et qu'il importe d'empêcher « une paix séparée entre impérialistes anglais et allemands ». Il rappelle que selon Marx, « l'insurrection est un art » ( en réalité, le mot est d'Engels). En terminant, il prévoit que « l'histoire ne nous pardonnera pas si nous ne prenons pas le pouvoir dès maintenant ». Cette lettre historique ne précède le coup de force que de quarante jours. Dès lors, le mot d'ordre du Parti : « Tout le pouvoir aux Soviets ! » va signifier : tout le pouvoir à Lénine et à ses auxiliaires. Pour comprendre exactement ce que Lénine entendait par la « majorité » aux Soviets de Pétrograd et de Moscou, il faut savoir que les Soviets n'étaient nullement une représentation organique, bien définie, élue conformément à des règles statutaires et à proportion du nombre des mandants. Improvisés à la va-vite par des votes à mains levées dans l'effervescence de la révolution de Février pour combler un vide quand les institutions légales devinrent brusquement caduques, puis transformés bientôt en réunions partisanes tumultueuses et indisciplinées que les « députés » sérieux abandonnaient, laissant le résidu pérorer à loisir, les Soviets tournaient inévitablement aux parlotes dominées par des extrémistes sans liens réels ·ave{: l'ensemble des ouvriers et des soldats dont ils étaient censés traduire les aspirations. D'ailleurs Lénine lui-même, dans sa brochure : Les bolchéviks garderont-ils le pouvoir ? écrite deux semaines après la lettre précédente, disait que « les Soviets se sont décomposés et putréfiés vivants » sous la conduite des socialistes. A l'en croire, « les dirigeants socialistes-révolutionnaires et menchéviks ont prostitué les Soviets, les ont réduits au rôle de parlotes », etc. Donc, il se réfère à une pse-udo-majorité dans deux Soviets « décomposés et putréfiés » pour revendiquer le pouvoir, il table en fait ·sur un ·petit nombre d'hommes dans la minorité d'une minorité de la population active. L'appréciation péjorative de Lénine quant à la dégénération des Soviets n'était pas fortuite, car au VIe Congrès du Parti tenu à la mi-août, Staline avait introduit dans la résolution finale la phrase suivante : « Les Soviets arrivent au terme d'une agonie tourmentée, se décomposent pour' n'avoir pas pris à temps tout le pouvoir entre leurs mains. » Par conséquent, Lénine spéculait sur une prétendue majorité dans des Soviets agonisants et décomposés. En fait, il pensait non pas à une « majorité agissante »,

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