A. LOUNATCHARSKI enthous.iasme est très atténué. Mais Baudelaire restera sans doute à jamais l'interprète de ce moment dans l'histoire de la société française où l'intelligentsia, ayant perdu toute la vigueur de son idéalisme et ne pouvant se résigner aux misérables perspectives bourgeoises, vit ses meilleurs éléments verser dans un désespoir entremêlé de rêves ; toutefois, elle parvint encore, semble-t-il, à donner quelques signes fulgurants d'énergie révolutionnaire av~_nt de se soumettre - non sans grandeur, du moins en la personne de ses poètes - à son triste sort. Ce n'est pas pour rien que Baudelaire fut le contemporain de deux révolutions et qu'en Février il fraternisa, dit-on, avec les travailleurs révolutionnaires. Le culte de Baudelaire pour tout ce que la ville, la civilisation urbaine, pouvait engendrer de dépravé, de vicié et de factice, son esthétisme et son amoralisme, tout cela réuni exerça une influence des plus pro- • Biblioteca Gino Bianco 319 fondes. sur les symbolistes russes. Aspirant à s'évader de la réalité dans le monde du rêve, nos poètes décadents de la « vieille génération » (Brioussov, Balmont, Sologoub, Annenski et, avant eux encore, Merejkovski, Minski) puisèrent la justification de leur état d'esprit dans les vers bien frappés des Fleurs du mal, où le mépris de la vie et de la nature, comme celui du « quotidien » et de la « prose », fut érigé en système, en « perle de la création » [ littér~ire]. L'individualisme de Baudelaire a mis également son empreinte en Russie sur le mouvement décadent de la première époque où fleurit ce culte du « moi » qui se veut supérieur au monde, qui croit tout connaître, est las de tout, n'admet au-dessus de lui aucune norme morale et confond souverainement le bien et le mal. A. LouNATCHARSKI. (Traduit du russe)
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