316 Avec Pierre Dupont et La Chambeaudie, il figure comme collaborateur de la République du peuple, qui ne publia de lui que « L'âme du vin », un court poème (du moins, selon Eugène Crépet). Mais ensuite il accepte · le poste de rédacteur en chef d'un journal conservateur à Châteauroux, où ses fantaisies imprévues écourtent à bref délai son séjour. Il écrira dans Mon cœur mis à nu, titre suggéré par Edgar Poe : « Mon ivresse de 1848 ... goût de la vengeance, plaisir naturel de la démolition. Ivresse littéraire ; souvenir des lectures. » Et encore : « Les horreurs de Juin. Folie du peuple et folie de la bourgeoisie. Amour naturel du crime. Ma fureur au coup d'Etat ... » Làdedans, aucune trace de concept politique, pour ne pas parler de doctrine. Baudelaire est « ébloui et attendri » par le « Chant des ouvriers » de Pierre Dupont, son ami socialiste, dont il préface les Chants et chansons. Il loue sans réserve car il admire Paul de Molènes, qui appartenait « à la classe des raffinés et des dandys » et professa le « pur amour de l'épée et de la guerre ». Bientôt il se déclare disciple de Joseph de Maistre. La méthode marxiste, même maniée par un esprit supérieur, n'éclairerait pas cette succession d'attitudes également sincères. La vie sexuelle tourmentée du poète est plus signifiante de ses goûts esthétiques, de ses contradictions intellectuelles, de ses dons divinatoires et de ses comportements bizarres, avec tout ce qu'il y subsiste de mystère. Les phénomènes subjectifs, parfois pathologiques, qui sont peut-être de la compétence de Freud, ne le sont certainement pas de l'incompétence de Marx. encore moins des nullités « marxistes » actuelles. De même que la « femme damnée » de Baudelaire maudit « le rêveur inutile/ qui voulut le premier, dans sa stupidité/S'éprenant d'un problème insoluble et stérile/ Aux choses de l'amour mêler l'honnêteté », - on ne peut aujourd'hui que récuser le parleur futile qui prétend, aux choses de la poésie, mêler le marxisme. Dans Fusées, Baudelaire a évoqué ~on hérédité : « Mes ancêtres, idiots ou maniaques, dans des appartements solennels, tous victimes de terribles passions. » Il avait des penchants au suicide, dont il s'ouvrit même à sa mère qu'il vénérait, pourtant, et à laquelle il eût voulu épargner les angoisses. Bien des BibliotecaGino Bianco VARIÉTÉS complications de la nature humaine se dessinent en sa personne maladive. Ses raffinements vestimentaires, ses tendances sado-masochistes, ses délires mystiques où se confondent bondieuseries et paganisme, son besoin de paradis artificiels, tout cela défie les tentatives de l'apprécier selon des critères tirés de théories sur la « loi générale de l'accumulation capitaliste » ou sur la « baisse tendancielle du taux de profit » par les courtisans et les valets parisiens du despotisme oriental. En revanche, ses intuitions merveilleuses qui, dans leur expression unique, trouvent encore à s'appliquer aux situations de nos jours, incitent à le citer en maintes circonstances, ce dont la présente revue témoigne. Notre refus de discuter avec un certain monde se justifie au mieux par cette pensée de Baudelaire : « ... Il ne faut jamais livrer certaines questions graves à la canaille. » Et plus que celle du siècle dernier, la presse actuelle mérite son opinion : « Je ne comprends pas qu'une main pure puisse toucher un journal sans une convulsion de dégoût. » Dans sa prescience, Baudelaire n'a-t-il pas vu venir le riff-raff de Saint-Germ.ain-des-Prés et son mentor publicitaire quand il griffonnait dans ses notes : « Portrait de la canaille littéraire. Doctor Estaminetus Crapulosus Pedantissimus (...). Ses opinions. Son heRelianisme. Sa crasse (...). Son fiel ( ...). Un joli tableau de la jeunesse moderne. » L'actuel Doctor Estaminetus Crapulosus Pedantissimus est d'emblée reconnaissable. Si l'on porte quelque intérêt à une présentation de Baudelaire par un marxiste qui ne soit pas de l'espèce stalinienne, il faut remonter à près de quarante ans en arrière et consulter l'article d'Anatole Lounatcharski dans l'Encyclopédie littéraire de l'Académie communiste (tome I, Moscou 1929), article reproduit ci- . après. Non parce que Lounatcharski fut com-- missaire du peuple à !'Instruction publique dans le gouvernement de Lénine, qualité insuffisante à nos yeux, mais parce que dans la social-démocratie russe, il était relativement lettré, goûtait la littérature française 'et en traitait sans trop de dogmatisme ni pédantisme. Certes, ce texte peu instructif n'est donné ici qu'à titre documentaire. , B. S.
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