Variétés A PROPOS D'UN ANNIVERSAIRE CHARLES BAUDELAIREmourut le 31 août 1867. Le cen.tième anniversaire de cette mort a suscité un. foisonnement d'études, d'exégèses et de commentaires. De rares auteurs nous i~struisent encore, mais la plupart ne font guère que répéter ce que leurs devanciers avaient déjà écrit. Quelques beaux morceaux d'érudition, et beaucoup de redites. Or, de divers côtés, une question saugrenue a été posée, celle d'une interprétation << marxiste » de l'œuvre du poète. Il ne faut s'étonner de rien en un temps où la presse, à l'exemple du lvfonde, disserte sans rire sur le « marxisme » des cannibales d'Afrique ou exalte le « marxisme-léninisme » des sectateurs fanatiques de Mahomet. Si des cuistres se permettent d'offrir au public des vues pseudo-marxistes sur Homère, sur Racine ou sur Rimbaud, il s'en trouvera sans doute pour expliquer le spleen par la lutte des classes et le dandyism par le matérialisme historique. D'ailleurs pourquoi soulever maintenant une question à laquelle une réponse est déjà donnée puisque les détenteurs patentés du marxisme, répudiés explicitement par Marx depuis près d'un siècle, ont déjà tenté de répondre ? Cependant on ne doit pas confondre diverses variétés de marxisme, les unes antérieures à Staline, les autres qui datent du cauchemar stalinien et ne méritent pas un regard. Dans la Petite Encyclopédie soviétique de 1930 (petite, mais en dix volumes), une brève notice définit Baudelaire, « issu d'un milieu paysan » et fils d'un haut fonctionnaire, comme un représentant de l' « intelligentsia déclassée » qui « se jette du socialisme au catholicisme, du mysticisme au culte de Satan ». L'origine sociale et le déterminisme économique, en ce cas, n'exBiblioteca Gino Bianco pliquent donc rien du tout. On ne voit pas pourquoi une même société « bourgeoise >.>, à la même époque et dans des conditions sensiblement semblables, a produit des écrivains et des artistes aussi différents, des œuvres aussi contrastées qu'en France au milieu du XIXesiècle, soit dit sans discuter le vocabulaire prétendument marxiste de ladite notice. Baudelaire, y lit-on, « participa à la révolution de février 1848 et au soulèvement de juin, qu'il regarda plus tard avec ironie ». C'est mal voir et trop peu dire. En réalité, sur cette « participation », les malentendus commencent. Il convient de se référer à l'étude d'Eugène Crépet (1887) où le biographe mentionne que Baudelaire, sous l'influence de se~ fréquentations au quartier Latin, et quoique étranger à la politique jusqu'alors, « professa, pendant quelque temps, les idées humanitaires >> et fut gagné par la contagion révolutionnaire quarante-huitarde, lui qui n'avait que mépris pour le parti républicain, « l'ennemi acharné du luxe, des beaux-arts et des belleslettres ». On le vit gesticulant, très excité, théâtral, au carrefour de Buci, parlant d'aller « fusiller le général Aupick » ( son beau-père), mais ce n'était guère plus que littérature. Ses velléités subversives du moment s'inspiraient surtout d'aversion envers 1~ « bourgeois » tel que le définissait Flaubert, non pas Marx, et relevaient d'un entraînement sentimental ; elles n'allaient pas survivre au coup d'Etat de Louis Bonaparte qui, dit-il, l'a complètement « dépolitiqué », lui inspirant la très sage réflexion que s'il devait voter, « je ne pourrais voter que pour moi-même ». Avec Champfleury, il avait fondé le Salut public, dont ne parurent que deux numéros.
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