Le Contrat Social - anno XI - n. 5 - set.-ott. 1967

B. IŒRBLAY dépassé le stade du banditisme. Le paysan a . toujours été relié - sauf en temps de guerre - au reste de la nation par des- « intermédiaires », des personnes interposées : administrateurs dévoués au régime et nommés par ce dernier. Pourtant la coopération agricole, rapidement florissante, amorçait autrefois des perspectives nouvelles. Les révolutions de Février et d'Octobre n'ont remué les campagnes qu'avec un retard marqué sur les villes 25 ; si élles bougent, c'est avant tout pour faire réintégrer dans la communauté les terres qui s'en étaient détachées, plutôt que comme un acquiescement aux idéaux des bolchéviks. La lutte antireligieuse prévue comme un facteur de libération a - en fait - sensibilisé la masse paysanne contre les « sansdieu ». Certes, dès 1917, un autre courant, radical, tend à créer avec les premières « communes » des formes de vie proprement communistes. Mais ces .communes, tout comme la grande masse de la paysannerie groupée dans les sociétés agraires (zemel'nye obchtchestva) 26 , manifestaient leur préférence pour des formes atomisées de communautés indépendantes. La profonde solidarité du groupe qui faisait la force de ces petites communautés sur le plan local, à défaut d'organisation politique, juxtaposées, sans lien entre elles, les rendaient incapables de défendre leur droit sur le plan national : leur destin s'est joué dans les villes où personne ne pouvait prendre leur défense. . Les bolchéviks n'avaient guère de sympathie pour la coopération paysanne dirigée par les socialistes~révolutionnaires. pas davantage pour les formes anarchisantes de communisme. Avec le danger koulak, la coopération est devenue plus suspecte encore. Les purges des années trente n'ont épargné ni les koulaks ni les cadres de la coopération qui avaient été dans les zemstvo les artisans les plus dévoués et les plus éclairés de la modernisation des campagnes russes 21 • Depuis lors les pouvoirs publics ont toujours eu la plus grande suspicion pour tout mouvement non contrôlé par les autorités cen25. P. Sorlin : • Lénine et le problème paysan en 1917 ,, Annalea ( A. Colin), mars 1964, pp. 250-280. 26. D.Y.Male : • The Village Communtty tn the USSR 1925-1930 •, Soviet Studiea, .1anvter 1963; Robert G. Wesson : Soviet Communes, Rutgers University, 1963, 275 pp. 27. B. Kerblay, A.V. Chayanov : • Un carrefour dans l'nrolutton de la pen1ée agraire en RuHle de 1908 à 1930 •, Cahl~r, du monde ru,ae et aovMtique, octobre 1964, pp. 4414eo. Biblioteca Gino Bianco 313 traies. La faiblesse du Parti dans les campagnes a pesé d'un poids lourd sur la liberté accordée à la base. Depuis peu cependant, les kolkhozes ont obtenu de sortir des limites strictes de l'agriculture dans lesquelles on les avait maintenus : des entreprises interkolkhoziennes ont pu se créer sur le plan régional. Une fédération des kolkhozes en une « Union » est envisagée. Certains veulent lui confier l'entière responsabilité de l'administration de l'agriculture ; mais beaucoup hésitent à transférer à des organismes élus des droits aussi larges, préférant lui confier des fonctions purement « sociales », à la manière des syndicats. Le prochain congrès des kolkhozes, tant attendu, va-t-il éliminer la tutelle du fonctionnaire et donner au paysan la pleine « majorité » qu'il réclame ? « A quoi peut servir un agronome si c'est le secrétaire du rayon qui décide pour lui ? » Demain LA TENTATIONserait de vouloir envisager les perspectives soviétiques sur le modèle de l'évolution agricole d'autres pays industriels. Les expériences passées sont irréversibles. C'est en avant que se dessine l'avenir. D'ores et déjà, un certain nombre de tendances apparaissent, dont quelques-unes sous forme encore latente. La plus décisive est le progrès technique qui, en U.R.S.S. comme ailleurs, ébranle les assises de la civilisation paysanne traditionnelle. L'expérience intuitive du moujik, l'importance attachée au sol et à l'animal de trait, cèdent le pas au laboratoire, au généticien, aux amendements chimiques, au tracteur. Cette mutation technique est grosse d'implications sociales. politiques et économiques. Elle postule tout d'abord une professionnalisation croissante de l'agriculture. Ce mouvement s'amorce jusqu'ici lentement en Union soviétique (au recensement de 1959, 29 millions de paysans sur 33 millions n'avaient reçu aucune spécialisation véritable : moins de 10 % de la population active rurale et 3 % de celle des kolkhozes avaient une formation secondaire ou supérieure. contre 17 % dans les villes). Il n'est pas facile de fixer aux champs des spécialistes dans l'état actuel des disparités de niveau de vie à la ville et à la camoagne. Un imn1ense effort d'équipement rural s'impose 28 • A son tour, la professionnalisation de l'agriculture devrait entraîner un nouveau type de 28. Kebtne, Kommormist, n° 12, 1966, p. 26.

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