306 concernant l'avenir de l'Europe de l'Est. lei · encore l' « intérêt de la civilisation » sert de base à une fantastique apologie du « droit de domination » des « peuples historiques » : Polonais, Hongrois et Allemands, sur les « peuples anhistoriques » et le reste de la « canaille slave ». Toute leur vie, Marx et Engels ont lutté pour la résurrection de la Pologne indépendante ; toutefois cette Pologne reconstituée ne serait pas fondée sur le « principe des nationalités », mais devait englober « au moins quatre nationalités » 54 • Ce qui devait être restauré n'était pas la Pologne polonaise, mais l'Empire polonais, « au moins dans ses frontières d'avant 1772 » (V, 334 ). Pour être « viable », la Pologne devait comprendre, outre la Pologne autrichienne et russe, toute la Lituanie, la Russie Blanche et une grande partie de l'Ukraine, car « une Pologne sans la Galicie, une Pologne qui ne s'étend pas de la Baltique aux Carpathes n'est pas la Pologne » (VI, 284 ). En revanche, la Pologne prussienne devait rester allemande car l'on ne pouvait pas « céder des contrées entièrement habitées par des Allemands » et l'on ne devait pas « céder de grandes villes entièrement allemandes à un peuple qui n'avait pas encore prouvé qu'il fût capable de s'élever au-dessus d'un féodalisme basé sur la servitude agraire » (VIII, 51). Cette difficulté ne pourrait être résolue qu'aux dépens de la Russie : Une guerre contre la Russie offrait l'unique solution possible. Dans cette éventualité, la question de la démarcation des différentes nations révolutionnaires eût été subordonnée à cel1e de l'établissement, au préalable, d'une frontière sûre contre l'ennemi commun. Les Polonais, mis en possession de vastes territoires dans l'Est, eussent été plus traitables au sujet de l'Ouest ; et, en fin de compte, Riga et Mitau leur auraient paru tout aussi importants que Dantzig et Elbing. Ce programme reçut un début d'exécution après la première guerre mondiale, 1orsque la Pologne ressuscitée incorpora 4 millions d'Ukrainiens, 1 million de Blancs-Russiens, 1 million d'Allemands, une importante minorité lituanienne, etc. On sait comment Staline a tranché ce nœud gordien. Après le dépeçage de 1939, ce spécialiste de la « question nationale » annexa les provinces orientales de la Pologne habitées en majorité par des Ukrainiens (5,5 millions) et des Blancs-Russiens ( 2 millions) et les vida de leurs minorités polonaises ( 1,5 million de personnes) en les « transférant », autre- · 54. Engels : La Classe ouvrière et la Pologne; XVI, 160. Engels croyait que • le principe des nationalités était une invention russe machinée pour détruire la Pologne•· Biblioteca Gino Bianco DÉBATS ET RECHERCHES ment dit en les déportant vers l'intérieur de !'U.R.S.S. Puis, en 1945, pour rendre la Pologne « plus traitable » au sujet des territoires qu'il lui avait retirés à l'Est, pour la souder aussi définitivement au nouvel empire russe, il lui remit de « vastes territoires » à l'Ouest, à savoir la moitié de la Prusse-Orientale, la Silésie, la Poméranie, tous les territoires situés à l'est de la ligne Oder-Neisse, et les vida de leur population allemande ( 11 millions) ... La Hongrie, deuxième « nation historique » d'après Marx, connut un sort analogue. Les Magyars devaient exercer sur les Slovaques et les Croates le même droit de ddmination que l' « histoire » avait accordé aux Polonais sur les Ukrainiens et les Blancs-Russiens comme aux Allemands ( = Autrichiens) sur les Tchèques et les Moraves. Car, · en dehors des Polonais, des Russes et peut-être des Slaves de l'Empire ottoman, aucun des autres peuples slaves n'a d'avenir devant lui (sic) pour cette raison très simple que les premiers éléments historiques géographiques, politiques et économiques d'indépen~ dance et d'aptitude à la vie (Lebensfahigkeit) leur font défaut. Des peuples qui n'ont jamais eu d'histoire propre, des peuples qui, à partir du moment où ils ·atteignirent le premier degré rudimentaire de civilisation, se trouvèrent aussitôt sous un joug étranger, ou qui même n'ont été amenés à ce degré rudimentaire de civilisation que par une domination étrangère, - de tels peuples n'ont aucune aptitude à la vie et n'atteindront jamais à une indépendance quelconque. Tel a été le sort des Slaves autrichiens. Les Tchèques ( ...), les Moravts, les Slovènes n'ont jamais eu une histoire propre ( ...). Pendant cinq siècles ils ont été comme un jouet que l'Allemagne [ = Autriche], la Pologne et la Hongrie se disputaient. La Bohême et la Moravie reviennent définitivement à l'Allemagne [= Autriche], tandis que le pays slovaque reste à la Hongrie. Comment cette « nation » qui n'existe pas au point de vue historique pourrait-elle demander son indépendance ? (VIII, 51). C'est pour le « progrès de la civilisation que les Slaves sont tombés sous le joug des Allemands et des Hongrois » (VI, 277) et le ~eul fait que, « pendant huit siècles, huit 111illions de Slaves se sont trouvés sous le joug de quatre millions de Magyars, montre bien qui, de lamultitude qes Slaves ou de la poignée des Magyars, ~ont les _plus dynamiques et les plus ap,tes à la vie » (VI, 278 ). Ici aussi l'ironie de l'histoire a été infini~ent plus cruelle que ces absurdes vaticinations sur la Lebensfiihigkeit et, le « dynamisme ». Si le traité de Trianoa priva la Hongrie de la totalité de ses provinces slaves, le grand règlement de comptes de 1945 permit aux « peuples anhistoriques » de remporter une effroyable revanche sur l'aveugle nationalisme de- Kossuth (et de Marx) : plus ~ I
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