K. PAPAIOANNOU finale ». Mais est-il absolument certain qu'il verrait seulement du « sentimentalisme » dans l'identification fétichiste de la gauche bien pensante avec cette lamentable parodie du nazisme? Non moins hérétiques (selon les critères actuels) sont ses vues sur la « décolonisation ». « Selon moi, écrivait-il à Kautsky le 12 septembre 1882, les colonies proprement dites, c'est-à-dire les pays occupés par une population européenne, le Canada, le Cap, l'Australie, deviendront tous indépendants ; au contraire, les pays seulement assujettis, peuplés d'indigènes, l'Inde, l'Algérie, les possessions hollandaises, portugaises et espagnoles doivent être confiés provisoirement au prolétariat [métropolitain] qui les conduira le plus vite possible à l'indépendance. Il est difficile de dire comment se développera ce processus. L'Inde fera peut-être une révolution, c'est même probable, et, comme le prolétariat libéré ne peut pas mener de guerres coloniales, ïl faudra s'y résigner (sic) ; cela n'ira évidemment pas sans ravages, mais ils sont inhérents à toute révolution. La même chose pourra se passer ailleurs, par exemple en Algérie et en Egypte, ce qui sera certainement pour nous le meilleur. Nous aurons assez à faire chez nous... » Ce programme, qui « n'exclut nullement les guerres défensives de divers genres », peut paraître quelque peu paternaliste, voire « cartiériste ». En revanche, les thèses de Marx et d'Engels sur les mouvements de libération nationale dans les Balkans et dans l'Europe de l'Est rendent un tout autre son de cloche. La « barbarie slave » Nous AVONS vu avec quel mépris Marx et Engels parlaient des « peuples pouilleux des Balkans » - « peuples de bandits » dont la misérable agitation antiturque ne servait qu'aux desseins de la Russie. Nous avons vu combien ils regrettaient la « catastrophe de Navarin » catastrophe qui épargna à la Grèce de devenir une colonie égyptienne... Ils n'ont pas mieux traité les Bulgares - « peuple de cochons (Sauvolk) comme on n'en voit pas deux dans le monde » 51 et qui « vivraient infiniment mieux s'ils restaient sous la domination turque en attendant la révolution européenne » 52 • Quant à la Grande-Serbie, elle n'était qu'une abstraction qui deviendrait « peut-être » une réalité « dans deux ou quatre générations et après le 51. Engels : lettre à Bernstein du 22 février 1882. 52. Engel1 : lettre à Bem1teln du 9 octobre 1886, Biblioteca Gino Bianco 305 bouleversement complet des conditions européennes », mais qui, « étant donné l'état culturel de ses populations, était pour le moment une pure impossibilité » : « ni les Croates ni les Monténégrins ne veulent se soumettre à l'autorité de Belgrade » et les « peuplades primitives » (Naturvolkchen) de Bosnie et d'Herzégovine ne connaissent le « droit à l'indépendance » que sous la forme du « droit au brigandage ». Bernstein - qui ne partageait nullement la russophobie pathologique des Pères fondateurs - avait remarqué que les révolutionnaires slaves étaient devenus russophiles uniquement parce que la « démocratie occidentale » se désintéressait de leur sort. « Je ne veux pas savoir, lui répondit Engels, comment et pourquoi ces petits peuples slaves en sont venus à voir dans le tsar leur seul libérateur. Il me suffit de savoir que c'est ainsi ( ...). S'il y a une guerre, toutes ces nations naines (Nationchen) si intéressantes se rangeront aux côtés du tsarisme, de l'ennemi de tout l'Occident bourgeois développé. Aussi longtemps qu'il en sera ainsi, je ne peux pas m'intéresser à leur libération dans l'immédiat. Elles demeureront nos ennemis directs au même titre que leur allié et protecteur le tsar.» L'émancipation de ces « peuples nains » n'était pas un objectif légitime en soi et pour soi, mais dépendait du rapport des forces entre la « démocratie européenne » et le « despotisme moscovite ». La fin du tsarisme et l' avènement d'un régime représentatif en Russie était la condition de tout le reste : aussi bien la « révolution européenne » que l'affranchissement de ces « débris de peuples ». Engels le dit dans une lettre à Kautsky du 7 février 1882 : Avec l'effondrement du tsarisme, ces peuplesnabots [V olkerknirpse : Serbes, Slovènes, Bulgares, etc.] pourront peut-être se libérer de leur assujettissement aux plans panslavistes de domination mondiale. Et c'est alors seulement que nous pourrons leur accorder la liberté. Mais je suis certain que six mois d'indépendance suffiront pour inciter les Slaves de l'Empire austro-hongrois à demander leur réintégration dans l'Empire (sic). De toute manière, il n'est pas question de leur reconnaître des droits tels que ceux qu'on réclame aujourd'hui en Serbie, en Bulgarie et en Roumélie : par exemple le droit d'empêcher la construction d'un réseau ferré européen jusqu'à Constantinople &1_ De la même stratégie antirusse et antipanslaviste relèvent les plans de Marx et d'Engels 53. Que diruit Engels de ln • nationalisation • du canal de Suez et de sa transformnlion en instrum<'nt de guerre et en moyen de chantage international?
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