K. PAPAIOANNOU infam~nte ?es castes et de l'esclavage, qu'elles soumettaient 1homme aux circonstances matérielles au lieu de l'inciter à en devenir le maître. En fait, la destruction de ces communautés « semi-barbares semi-civilisées a été la plus grande et, à vrai dire, la seule révolution sociale que l'Asie ait jamais connue ~>. Il est vrai également que cette « révolution » a été provoquée par les intérêts « les plus abjects » et menée « de la manière la plus stupide ». « Mais la que_stion n'est pas là. Il s'agit de savoir si l'humanité peut accomplir sa vocation sans une révolution fondamentale dans l'état social de l'Asie. Or, quels qu'aient été les crimes de l'Angleterre, elle n'en a. pas moins été un instrument inconscient de l'histoire en provoquant cette révolution 46 • » C'est que l'Angleterre avait une « double mission » à remplir en Inde : « l'une, destructrice ; l'autre, génératrice : l'annihilation de la vieille société asiatique et la pose des fondements d'un ordre social occidental en Asie ». Marx .croyait que l' œuvre de destruction était plus ou moins achevée (en quoi il se trompait). Quant à l' « œuvre de régénération », celle-ci « perce à peine au travers d'un monceau de ruines, mais elle a néanmoins commencé ». La première condition de la régénération de l'Inde était son unification politique : grâce aux Anglais, elle est « plus consolidée et plus étendue qu'elle ne l'a jamais été sous les Mogols ; imposée par l'épée britannique, elle est de surcroît affermie et perpétuée par le télégraphe électrique ». Ensuite, l'existence d'une armée ·indigène était « la condition sina qua non de l'émancipation de l'Inde, la condition sine qua non pour que l'Inde cessât d'être la proie du premier envahisseur étranger ». Désormais, cette armée existe ; elle a été créée, « organisée et entraînée par le sergent instructeur britannique » : Marx ne pouvait prévoir que cette armée allait devoir, entre autres choses, défendre l'Inde contre la Chine « marxiste »... Un troisième et « puissant agent de régénération est la presse libre ». Marx ne pouvait prévoir que ses disciples les plus orthodoxes tiendraient la liberté de la presse pour un dangereux « préjugé bourgeois » ; aussi louait-il les Anglais d'avoir été « les premiers à introduire la presse libre dans la société asiatique ». Quatrième agent de régénération : la destruction de l'économie communautaire et l'introduction de certaines formes de propriété privée. En agissant ainsi, dit Marx, les Anglais ont réalisé « Je 46. Marx : La Domination britannique en Inde, juin 1853; IX, 127 1qq. Biblioteca Gino Bianco 303 grand rêve de la société asiatique » ... Enfin, les Indiens éduqués à l'européenne « sont en train de former une classe nouvelle, dotée des capacités nécessaires au gouvernement et imprégnée de science européenne ». En outre, la formation de cette bourgeoisie de type occidental sera accélérée par la révolution dans les transports et dans les modes de production. Car « on ne peut introduire les machines comme moyen de locomotion dans un pays qui possède le ~er et le charbon » sans étendre leur applicauon dans les branches les plus importantes de la production. « Les chemins de fer deviendront donc en Inde les avant-coureurs de l'industrie moderne » et l'industrialisation « dissoudra les divisions héréditaires du travail sur ' lesquelles reposent les castes indiennes, ces obstacles décisifs au progrès indien et à la puissance de l'Inde ». En conséquence, conclut Marx, « le jour n'est pas loin où cette contrée naguère fabuleuse sera pratiquement incorporée au monde occidental » 47 • En ce qui concerne l'industrialisation ces . ' espoirs n'ont pas été confirmés et Marx a découv~rt que, loin de réaliser ce qu'il appelait le « vieux rêve de la société asiatique », à savoir la propriété privée, « la suppression de la propriété .comtnune du sol n'a été qu'un acte de vandalisme anglais, poussant le peuple indi- ' . . ' gene non en avant, mais en arriere » 48 • Mais cela n'a nullement ébranlé sa foi en la nécessité de la destruction du vieil ordre asiatique. C'est cet optimisme pour ainsi dire tragique qui lui a permis de surmonter sa haine viscérale de la Russie et de reconnaître à celle-ci une certaine « mission civilisatrice » dans ses possessions asiatiques. La Russie, écrivait-il à Engels le 23 mai 1851, « se dresse contre l'Orient comme une force progressive. Malgré toute sa vulgarité et sa saleté slave la domi- . ' nation russe joue un rôle civilisateur en Asie centrale aussi bien que dans les régions de la mer Noire et de la mer Caspienne. » Il est vrai que toute mention de l'œuvre civilisatrice de la Russie disparaît par la suite et que Marx a maintes fois stigmatisé l'apathie avec laquelle les Européens ont accepté la conquête du Caucase par les Russes, mais il n'a pas changé d'un iota ses idées sur le rôle de l'impérialisme en Asie. Aussi bien c'est avec une jubilation à peine dissimulée qu'il décrit l'agonie du vieil Empire chinois : 47. Marx : Les Résultats futurs de la domination bria11nique en Inde, juillet 1853; IX, 220 sqq. 48. Lettre à Vérn Znssoulllch, t roisil-mc <\banche· XIX, 402. '
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