MARX ET LA POLITIQUE INTERNATIONALE par Kostas Papaioannou III Est et Ouest POUR les « terribles simplificateurs » de notre temps, « éclectisme », « absence de principes », « erreur » sont devenus des expressions quasi identiques. Mais, n'en déplaise à Lénine et à ses épigones, Marx et Engels ont été pour ainsi dire systématiquement éclectiques - du moins dans leurs interprétations de la politique internationale. Un bref rappel des faits majeurs de leur temps suffit à faire comprendre pourquoi ils se sont refusés à subsumer sous un concept unique et à ramener à une cause privilégiée les rivalités et les conflits de puissance, les guerres et les annexions de leur siècle. «Eclectisme»: · la Russie et l'Angleterre DEPUIS L'ANNÉE 1849 où ils érigèrent la guerre contre la Russie en devoir suprême de la « démocratie européenne » et jusqu'à la fin de leur carrière, Marx et Engels étaient obsédés par les progrès de l'expansion russe en Europe et en Asie. On connaît leurs thèses sur la Russie : selon eux, c'est l'Etat despotique et son propre dynamisme expansionniste qui expliquent, en première et en dernière instance, l'impérialisme moscovite. Comme dira Marx dans une lettre à Engels du 2 novembre 1867, « les Russes ne confisquent que pour des raisons politiques »... Le siècle fut marqué et dominé par la grande rivalité entre l'impérialisme russe et l'impérialisme anglais. Marx et Engels étaient trop bien informés, et en même temps trop passionnellement partisans d'une politique de fermeté à l'égard de la Russie, pour se laisser tenter par l'idée que l'on pourrait ramener à un quelconBiblioteca Gino Bianco que commun dénominateur les multiples péripéties d'un conflit opposant deux types de société, d'Etat et de civilisation aussi irréductiblement différents que l'Empire tsariste et l'Empire britannique. Marx et Engels ont consacré des centaines de pages à l'étude de la politique anglaise envers la Russie. Or ce qui frappe dans leurs analyses, c'est le peu de place accordée aux motivations économiques. Nous avons déjà cité -la grande philippique de Marx contre toute tentative d'explication économique de la politique extérieure. En fait, il s'est acharné à démontrer, avec un luxe déconcertant de détails, que toute la politique russe de l'Angleterre avait été depuis toujours systématiquement nuisible aux intérêts commerciaux de celle-ci. Ainsi les fameuses Révélations sur l'histoire diplomatique du XVIIIe siècle (1856) nous apprennent que le sens réel de la politique anglaise lors des guerres russo-suédoises - politique de « trahison envers la Suède » et de « connivence avec la Russie » 1 - a été défiguré par les « tricheurs officiels » et autres « inventeurs de prétextes commerciaux » destinés à donner à la politique anglaise « l'apparence d'une action conforme aux intérêts du commerce ». Et Marx de déplorer la légèreté avec laquelle les « historiens modernes » (mais que dirait-il des « marxistes-léninistes » ?) ont accepté comme un dogme les « leçons toutes faites soufflées par les tricheurs officiels ». C'est, dit-il, ce qu'on constate lorsqu'on examine leurs thèses sur les intérêts commerciaux de l'Angleterre par rapport à la Russie et à la Suède : pour justifier 1. Marx: Révélations .••, ln B. Hepner: Man, la Ruute et l'Europe, 1954, pp. 165-75,
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