Le Contrat Social - anno XI - n. 5 - set.-ott. 1967

P. BONUZZI faits économiques et les jugent, les plient à leur volonté jusqu'à ce que celle-ci devienne le moteur de l'économie, modèle la réalité objective~. Chez A. Tasca, rien de tout cela. Fondateur des jeunesses socialistes· de Turin en 1909, il avait vécu dès avant 1914 les grands mouvements revendicatifs des travailleurs de l'automobile comme de ceux· des rizières piémontaises. En 1920, il était à la tête de l'Alliance coopérative turinoise, l'une des plus importantes coopératives ouvrières de l'époque en Europe ; il était en outre secrétaire de la Bourse du Travail. Opposé au « réformisme bureaucratique », il n'en restait pas moins persuadé que la tradition ouvrière et socialiste comportait une part d'éléments utiles qu'il s'agissait non de rejeter, mais de transformer et de renouveler. Ainsi, ces trois hommes représentaient déjà, inconsciemment et comme avant la lettre, les trois tendances qui s'affronteront plus tard, successivement, dans le parti futur. G. Berti insiste particulièrement sur l'orientation foncièrement démocratique du groupe turinois de l'Ordine Nuovo, dont Tasca et Gramsci avaient été les principaux fondateurs, comme du mouvement des « conseils ouvriers », dans lesquels on avait cru reconnaître une version, particulièrement originale et adaptée aux conditions italiennes, des soviets. Lénine, on le sait, rejeta la formule, et le représentant de l'I.C. en Italie avait précisé que « la révolution ne dépend pas d'une forme d'.organisation, mais c'est la forme d'organisation (soviet) qui résulte de la révolution ». Autrement dit, la révolution consiste à s'emparer d'abord du pouvoir, les organes de l'Etat devant être créés ensuite. On se souviendra qu'à cette époque (février 1920), le parti socialiste italien adhérait depuis déjà un an à l'Internationale de Moscou. On peut en conclure que désormais l'intervention de celle-ci devint déterminante dans les décisions du Parti et, quoiqu'il se défende de se prononcer sur ce point faute de preuves, on sent bien que Berti n'est pas éloigné de croire que la scission de janvier 1921 a été voulue et organisée sciemment par le Comintem. C'est d'ailleurs ce qui paraît ressortir également du rapport, publié récemment, que Paul Levi, leader du P.C. allemand, avait envoyé à Moscou après avoir assisté au 5. Citant ce texte, G. Dcrli l'a daté du 5 Janvier t 918. C'eat en effet à cette date qu'Jl fut reproduit dans le périodique de Turin Il Grido del Popolo. En fait, li avait paru clan• l'Avanti / de Milan dè11 Je 24 novembre 1917. Biblioteca Gino Bianco 291 congrès de Livourne et avant même que la sc1ss1on ait été annoncée officiellement 6 • En fait, nombre d'auteurs, dont Ignazio Silone qui fut témoin et acteur de l'événement, pensent non sans quelque apparence de raison que dans l'atmosphère enfiévrée de l'époque, après le cuisant échec de l'occupation des usines, pendant laquelle l'impuissance des organisations ouvrières traditionnelles était apparue au grand jour, la scission était inévitable. Moscou, bien entendu, avait exercé une influence incontestable. Cependant, dit Berti, aussi longtemps que les archives de l'I.C. relatives à cette affaire ne seront pas accessibles, on ignorera si, dans le cas de l'Italie, le Comintern avait voulu provoquer délibérément une scission minoritaire ou bien s'il estimait que, puisqu'en France la création du parti communiste avait emporté, outre les suffrages de la gauche, ceux du centre et même d'une partie de la droite naguère « jusqu'auboutiste » et « social-patriote », il n'y avait aucune raison de douter que le Parti italien, qui avait donné des gages de pacifisme au cours du conflit mondial, puis adhéré à la 3e Internationale, et était dominé par la gauche « maximaliste » de Serrati, ne parvienne à éliminer la droite réformiste pour se transformer en un parti véritablement révolutionnaire. Quoi qu'il en fût, Lénine pensait alors que le socialisme n'avait aucune chance de se réaliser en Russie si la révolution n'avait triomphé au moins dans quelques pays de l'Europe occidentale ; c'est pourquoi Moscou se pressait d'aboutir. En réalité, dit Berti, on parvint à créer dans le mouvement ouvrier « l'une des situations les plus dramatiques, confuses et complexes de toute son histoire ». En Italie, en 1921-22, alors que la classe ouvrière aurait dû mobiliser ses énergies contre le fascisme, on organisa la lutte contre le parti socialiste, tandis que celui-ci, déchiré par ses dissensions intérieures, s'opposait au parti communiste. Il en allait de même dans les autres pays. On obtint donc un résultat auquel Moscou ne s'attendait probablement pas : Au lieu de provoquer un processus analogue au rapide déplacement des masses de la période févrieroctobre 1917 en Russie, des positions menchévistes et s.-r. aux positions bolchévistes, la scission du mouvement ouvrier déplaça l'objectif : la lutte révolutionnaire que le prolétariat européen aurait dû mener contre sa propre bourgeoisie devint ainsi une lutte intérieure des di/ f érents groupes du mouvement ouvrier l'un contre l'autre (souligné par l'auteur). 6. The Comintern : Hbtorical Hir,hlight,, edited by B. J_,n7.ltchnnd M. Ontehkov1teh. Nt"wYork 1966, F. Prnt"({('r. ,

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