Le Contrat Social - anno XI - n. 5 - set.-ott. 1967

W. WEIDLÉ autre. Déïneka (né en 1899), élève de Favorski, encore jeune à l'époque, manifesta clairement ses dons en 1928 dans sa Défense de Pétrograd (grande composition dans le goût de ,Hodler ou d'Egger-Lienz), mais que d'œuvres imposées, dictées, extorquées, il dut peindre par la suite ! Favorski, excellent graveur, forma un certain nombre d'élèves de talent, mais l'art du livre, dans son ensemble, souffrit terriblement de la décadence du goût décoratif et d'une conception mesquine, trop littérale, de l'illustration, de sorte que, pendant quarante ans, rien ne fut produit qui pût être comparé, même de loin, aux meilleurs ouvrages illustrés des vingt années précédentes. Et l'essentiel, avec tout cela, n'est pas encore dit. Ce qu'on obtenait difficilement des hommes de talent, on l'obtenait sans peine des autres. On ne se souvint pas immédiatement de l'existence de ces autres, mais quand on pensa à eux, ils étaient là et ils engendrèrent rapidement une nombreuse descendance. Ils n'étaient plus de la première jeunesse, parfois même ils étaient d'âge tout ce qu'il y a de plus mûr. En art, ils s'en· tenaient au bon vieux temps, vénéraient les Ambulants dans ce qu'ils avaient de plus pompier et avaient exposé chez eux. De l'un d'entre eux, il est dit dans !'Histoire de l'art - russe (XI, 199) : « Parmi les champions du réalisme, qui se trouvaient aux sources de la peinture soviétique, N. Kassatkine joua un rôle particulièrement important. » Deux reuvres de ce champion y sont reproduites : une Etudiante de Faculté ouvrière genre « gitane », au point qu'on la croirait vraiment provenir -d'un paquet de cigarettes, et une Pionnière avec ses bouquins, sérieuse, - aguichante, quand même, bien entendu, mais à la manière plus lyrique d'une image de boîte à bonbons. L'Ambulant Kassatkine allait alors sur ses soixante-dix ans, il était né avant Lénine, mais, n'est-ce pas ? « il faut préserver le beau, le prendre comme modèle, comme source ; même s'il est ancien ». Le testament du grand chef était exécuté. C'était précisément le « réellement beau » ainsi fait, et non un autre, qui « se trouvait aux sources » de la peinture et de la sculpture soviétiques. Tout ce qui fut apprêté selon les bonnes recettes anciennes ne le fut pas toujours à l'eau de rose, mais aboutissait invariablement à une écœurante banalité. Kassatkine, élève de Pérov, était un Ambulant de la seconde génération, comme ses contemporains Malioutine et Arkhipov. Tous trois, ainsi que les peintres de même style, mais un peu plus jeunes et qui eux aussi se trouvaient « aux sources » Biblioteca Gino Bianco 285 (Serge Guerassimov, Grekov, Avilov), étaient depuis toujours des adeptes de ce « réalisme » de pacotille, qui maintenant triomphait sans le moindre effort, comme il devait triompher en Allemagne sous Hitler et, un peu moins nettement, en Italie sous Mussolini. Ce n'était pas le réalisme de Courbet ou de Leibl, de Sourikov ou de Sérov, ou même de Répine dans ce qu'il avait fait de meilleur : c'était ce réalisme bien connu· en Occident depuis le milieu du siècle dernier, mais dont les modèles sont depuis longtemps retirés des musées occidentaux (on les y garde peut-être en réserve, dans l'attente d'un « Octobre » ou d'une « marche sur Rome » ). Il est vrai que le réalisme soviétique se dénomme socialiste : cette appellation ne relève que de la propagande et ne vise que celle-ci lorsqu'elle est faite au moyen de l'art (personne, en effet, ne saura distinguer le coup de pinceau socialiste du coup de pinceau socialtraître ,' ni une jambe modelée à la manière socialiste d'une jambe modelée à la manière impérialiste). Cette appellation fut confirmée par le décret du Comité central du Parti daté du 23 avril 1932. Il y est dit : Le réalisme socialiste exige de l'artiste une représentation véridique, historiquement concrète, de la réalité dans son développement révolutionnaire. Ce caractère véridique et concret de la représentation artistique de la réalité doit s'allier à la tâche de l'éducation et de la transformation idéologique des travailleurs dans l'esprit du socialisme. Beau style. « C'est clair, il me semble ? » comme aimait à dire la personnalité à qui à cette époque on rendait un culte. Le « caractère véridique et concret », c'est le réalisme, tandis que « l'éducation et la transformation », c'est son aspect socialiste. Celui-ci défi.nit non point le caractère ni la qualité du réalisme, mais précisément la tâche qu'il lui incombe d'accomplir. En fait, pourtant, et la qualité et le caractère découlent de cette tâche ; seulement, les documents officiels se taisent là-dessus à bon escient. Aussi déplorable que ce soit, c'est un fait que, depuis le temps de nos bisaïeuls ou trisaïeuls, la bonne peinture (réaliste ou non) plaît au petit nombre et la mauvaise au grand nombre. Or la propagande s'adresse au grand nombre, elle n'a cure des happy few. Ce sont les « travailleurs » qu'il faut éduquer et transformer (dans le sens du Parti), non une poignée d'individus sensibles à l'art, qui ne forment pas une classe et qu'on rencontre aussi bien parmi les aristocrates ou les marchands que parmi les ouvriers, La séduisante ,

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