W. WEIDLÉ nales. Seul Malévitch resta sans travail. Il ne renonça pas publiquement à ses principes : la condamnation de la peinture « rappelant quoi que ce soit de vivant » et non point libérée de « l'ossature des choses », mais, en privé, il peignit, dit-on, à la fin de sa vie, quelques portraits des me1nbres de sa famille. Il mourut en 1935 (dix-huit ans avant Tatline) et fut enterré dans un cercèuil qu'il avait orné à l'avance de dessins « suprématistes ». Les décennies suivantes CHACUNv, éritablement, devait se préoccuper de son salut : des temps durs étaient venus. Non seulement pour la révolution dans l'art, mais pour l'art en général (et pour la révolution, telle que la concevaient les enthousiastes du début). Un orage s'amassait au-dessus des Ateliers libres et tout ce qui leur ressemblait ; ce n'était pas pour rien que le Vkhoutemas fut remplacé par le Vkhoutein, c'est-à-dire par un Institut ayant à sa tête un personnage nanti de pouvoir, et le Svomas par une Académie, ce qu'il avait été depuis Catherine II jusqu'à Lounatcharski et Schterenberg. Le Proletkult lui-même, la plus ancienne institution à visées intellectuelles du Parti, se trouva au pied du mur. On y estimait que le prolétariat était appelé à créer une culture antibourgeoise entièrement nouvelle, et qu'il fallait de ce fait reléguer définitivement aux archives le goût bourgeois et la compréhension bourgeoise de l'art. l\-1aislorsque, dans la Pravda du 27 septembre 19.22, l'un des directeurs de cette institution, Pletniev, déclara : « Les arts du monde nouveau seront industriels ou ne seront pas », il se fit réprimander par Lénine en personne, qui qualifia ses considérations de « falsifications du matérialisme historique ». Et lorsque, à la même époque, s'ouvrit l'exposition de la Nouvelle Société des peintres (NOJ), celle des jeunes non-figuratifs qui, ayant battu en retraite en toute hâte, songeaient à revenir au primitivisme radical (inspiré en partie par 1 :imagerie populaire russe) du « Valet de carreau », de Larionov, de Gontcharova (ils étaient tous les deux restés à Paris après la guerre) et de Malévitch à ses débuts, on les rappela sévèrement à l'ordre ; ce « culte du primitif » fut condamné sans délai et irrévocablement. Paul Filonov (1883-1943), le seul quasi-surréaliste russe, peintre nullement dénué d'originalité et de talent, s'avisa un peu plus tard de tirer profit de cette mise à l'index de la simplification comme de la suppression de l'objet, et ouvrit à Léningrad, en 1925, le studio de « peinture analytique » qui connut Biblioteca Gino Bianco 283 un assez grand succès. Mais trois ans plus tard tous les groupements et toutes les écoles artistiques privées furent interdits ; quant à la peinture de Filonov, il est prescrit jusqu'à ce jour de la considérer comme « hideuse ». D'ailleurs, l'épisode de la « peinture analytique » était un phénomène de rémanence, posthume, en quelque sorte. Lors du cinquième anniversaire d' « Octobre », la situation, pour l'essentiel, se présentait tout à fait clairement. Tous les « ismes » devaient disparaître et céder la place à un dernier venu, qui n'avait pas encore de nom, mais qui se profilait déjà nettement à l'horizon et ne ressemblait guère aux précédents : ceux-ci désignaient des « tendances » à l'intérieur de l'art, tandis que l' « isme » nouveau devait servir de prête-nom à la jugulation de l'art par ceux qui en assumaient la direction. Du caractère de cet art dirigé (et jamais encore l'art en Russie n'avait été dirigé de manière aussi autocratique), on pouvait juger par la qualité de ces monuments de béton, déjà mentionnés, de style photographique, à Volodarski, Byron, Constantin· Meunier, Spartacus, dont, à vrai dire, à cette époque, bien peu subsistaient, mais qui reflétaient si clairement le goût artistique (ou le goût tout court) de celui qui les avait fait ~riger, comme de ses disciples et successeurs. Le maitre, du reste, ne cacha point sa pensée en la matière, et ses paroles (tirées d'un entretien avec Clara Zetkine) ont aujourd'hui encore force de loi. Elles sont citées, comme ptononcées ex cathedra, dans le onzième tome de l' Histoire de l'art russe officielle, qui parut en 1957. Attention, c'est Lénine qui parle : Nous nous sommes trop comportés en déboulonneurs dans la peinture. li faut préserver le beau, le prendre comme modèle, comme source, même s'il est ancien. Pourquoi nous détourner de ce qui est réellement beau, refuser d'en faire le point de départ de notre développement ultérieur, sous le seul prétexte qu'il est ancien ? C'est une absurdité, une absurdité totale ! Il y a là beaucoup d'hypocrisie et, bien entendu, un respect inconscient de la mode qui règne en Occident. Nous sommes de bons révolutionnaires, mais nous nous sentons, on ne sait trop pourquoi, obligés de démontrer que nous sommes à la hauteur de la culture contemporaine ... Je ne puis pas considérer les œuvres de l'expressionnisme, du futurisme, du cubisme et autres « ismes ~ comme les manifestations les plus hautes du génie artistique. Je ne l~s. comprends pas. Je n'éprouve devant elles aucune Jote. Ces paroles ne témoignent pas d'une très bonne information : l'expressionnisme, par exemple, n'enthousiasmait personne en Russie. Mais Lénine ne manquait pas de bon sens, ni de l'art de s'en prévaloir devant des gens qui
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