Le Contrat Social - anno XI - n. 5 - set.-ott. 1967

282 déménagea à Pétersbourg où, avec son concours, le Svomas se transforma en Académie des sciences artistiques ; il en élabora le P:~gramme tout en préparant son départ définitif. En 1919, Malévitch, de son propre chef, débarqua à Vitebsk, ville natale de Marc Chagall, qui était revenu en Russie au début de la guerre et qui dirigeait maintenant l'Ecole d'art de Vitebsk, l'en chassa, s'installa à sa place et débaptisa l'établissement qui devint l'Ounovis (Ecole d'art nouveau). Chagall, à cette occasion, fut traité de peintre arriéré, inutilisable par la révolution ; il dut se réfugier à la Habima (théâtre juif de Moscou) où il travailla deux ans, avant de repartir à son tour pour l'Occident. A cette époque, les départs se multiplièrent et, parmi les révolutionnaires les plus résolus, commencèrent à s'expatrier ceux qui étaient rentrés récemment. Ils sentirent avant les autres qu'ils allaient bientôt être démis de leurs fonctions, et ils savaient où aller. Vers la fin de l'année 1922 Kandinski , ' Pevzner, Gabo, et Pouni, parti un peu plus tard, se trouvaient à l'étranger. Les autres res- , . terent, mais tout se passa comme s'ils étaient partis, eux aussi. Les temps étaient changés. La « révolution dans l'art » avait pris fin. . . Si l'on veut en dresser le bilan, ce ne sont nt les œuvres ni les théories de ces artistes qui permettront de l'établir. Les seules théories tant soit peu nettement articulées furent celles de Kandinski, nées à Munich, élaborées à l'Inkhouk mais qui ne lui servirent que pour son enseignement au Bauhaus. Si les écrits de Malévitch sont loin d'être lumineux, ceux de Rodtchenko sont complètement opaques. Et pour ce qui est des œuvres, ce fut dans des toiles abstraites que se révéla, ces années-là comme les années précédentes, le talent d'Alexandra Ekster (qui passa bientôt au décor de théâtre avec le metteur en scène Taïrov) celui de Nadejda Oudaltsova et de Lioubo~ Popova (toutes deux avaient étudié à Paris chez _Le Fauconnier et Metzinger) ; celui de Poun1, de façon éclatante dans ses premières œuvres. Tatline et Malévitch avaient cessé de manifester le leurJ Avec ceux qui les avaient rejoints, et sur la valeur desquels nous manquons d'éléments d'appréciation, ils s'occupèrent, non plus de peinture ou de sculpture, mais d'expérimentation en marge de ces deux arts, comme, au même moment, Pevzner, Gabo et Kandinski. Les expériences de Malévitch et de Tatline n'apportèrent rien ni à la peinture ni à la sculpture et ne souhaitaient rien leur apporter, puisqu'elles tendaient vers la liquidation de l'une et· de l'autre. Loin de BibliotecaGino Bianco .. LE CONTRAT SOCIAL les diminuer aux yeux de l'historien, cela. constitue au contraire leur im~rtance dans l'histoire de l'art contemporain ou, plus exactement, dans l'histoire de ce qui est survenu, dans le domaine considéré naguère comme celui de l'art, au cours du siècle où nous vivons. En Occident~ on n'a pas tenu compte de ces expériences, et l'on préfère n'en pas tenir compte même .aujourd'hui, quoiqu'on . les connaisse bien mieux. On continue, ici, de vouloir remplacer la peinture figurative par !'abstraite, alors qùe, là-bas, les « abstraits » eux-mêmes en étaient venus à la conclusion que supprimer la figuration conduisait à supprimer la peinture - pas tout entière, sans doute, mais en tout cas celle qui s'obstine à produire des tableaux de chevalet. Ici, en guise de nouveauté, on confectionne depuis quelques années des « objets » à trois dimensions ; làbas, on a commencé à en construire avant la première guerre ~ondiale, et en septembre 1921, Rodtchenko, Stépanova (sa femme), Popova, Ekster et Alexandre Vesnine organisèrent à Moscou une exposition commune qui s'appelait « 2 X 2 = 5 >; tout en annonçant à cette occasion la mort non seulement de la peinture mais tout aussi bien celle des « objets » en tant que créations de l'art pour l'art, après quoi ils « offrirent leurs services au peuple », se déclarant travailleurs de l'industrie, sans plus. En novembre de la même a~née, à ~'assemblée de l'Inkhouk, les participants proclamèrent dénuée de sens et d'objet le~r activité de peintres ne songeant qu'à la peinture, et à la même époque, Tatline, en construisant sa célèbre maquette de la tour de la IIIe Internationale (œuvre d'architecture bien qu'utopique), quitta définitivement (mêm~ s'il continua de travailler de temps en temps pour le théâtre) l'art pour passer à ce qui en langage ordinaire s'appelle technique. Person- ~ell~~e~t, , ce q_ui l'attirait le plus, c'était 1 act1v1te d un « inventeur » dilettantesque : il travailla trente ans à la construction d'un appareil d'aéronautique individuel qu'il avait baptisé « Létatline » *, mais qui néanmoins ne s'éleva jamais dans les airs. Le reste de l'avant-garde, pour échapper aux coups de ' . . semonce ou a pts encore, et aussi pour se nourrir, se réfugia dans les différentes formes de l'industrial design. Rodtchenko et Stépanova s'orientètent vers l'art (inavoué) de la typographie. Lissitski fit comme eux avant de se spécialiser dans la construction des pavillons soviétiques pour le5 expositions i~ternatio- • Il y a là un jeu de mots : letat, en ru~se, signifie voler.

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