Le Contrat Social - anno XI - n. 5 - set.-ott. 1967

W. WEIDLÉ .Ateliers supérieurs de technique et d'art) où fusionnaient l'ancienne Ecole de peinture, sculpture et architecture et l'école Stroganov d'art appliqué. L'enseignement, dans les deux cas, était organisé sur le principe des élections, mais on choisissait, bien entendu, ceux qui étaient là, et ·ceux qui ne refusaient pas d'être élus. Les principales chaires furent attribuées, à Pétersbourg (sans compter Schterenberg), à Altman, Pouni, Petrov-Vodkine; à Moscou, à Malévitch et Tatline (que plus tard on affecta à Pétersbourg), Kandinski, Pevzner, Rozanova, Oudaltsova, Kouznetsov, Falk et Favorski. Les trois derniers, ainsi que Petrov-Vodkine et Altman, n'étaient pas des plus avancés « à gauche » dans leur art. Leur gauchisme parut suffisant, mais seulement pour les seconds rôles. Tant que la métaphore de la « révolution en art » était considérée non pas comme une métaphore) mais comme la vérité, ne pouvaient tenir le haut du pavé que ceux qui étaient plus à gauche que tous les autres. Qu'ils s'appelassent suprématistes ou constructivistes était secondaire, bien que de temps à autre surgît entre eux une querelle de famille pour savoir qui était le plus à gauche ; dans la terminologie actuelle du Parti, c'étaient tous des « abstractionnistes ». Ils prenaient cependant au sérieux leur gauchisme, dans les deux sens du mot. Ils étaient persuadés que, faisant la révolution dans l'art, ils participaient par là même à une révolution appelée à tout transformer, à tout reconstruire de fond en comble, y compris - par leurs efforts - tout ce qui jusqu'à présent avait été considéré comme étant de l'art. Le plus âgé parmi eux était Kandinski : il avait ciPquante-quatre ans. Malévitch avait quarante ans ; Tatlir1e, trente-trois ; Pevzner, trente-deux. Les autres étaient pius jeunes, le plus jeune était Pouni : vingt-quatre ans. Pevzner et son frère Gabo (qui enseignait, lui aussi, au Vkhoutemas, quoique sans chaire) étaient arrivés de· Norvège l'année précédente : on les ignorait totalement en Russie, et Kandinski y était moins connu qu'en Allemagne. Par contre, Malévitch et Tatline avaient exposé dès 1909 et avaient commencé à passer du figuratif au non-figuratif avant la guerre, presque en même temps que Kandinski. Malévitch, en 1915, avait exposé son carré noir sur fond blanc, devenu célèbre par la suite, mais il l'avait peint plus tôt, sans doute en 1913. Maintenant, en 1918, il peignait un carré blanc sur fond blanc : c'était une « composition suprématiste : blanc sur blanc » ; et Rodtchenko, qui jadis imitait Malévitch et qui mainteBiblioteca Gino Bianco 281 nant était en compétition avec lui, répondit • I\ • • • auss1tot par une autre « compos1t1on » : « nou sur noir ». Il ne faut pas prendre ces appellations à la lettre : le noir n'était pas partout d'égale épaisseur et le carré blanc se détachait sur le fond blanc grâce à une blancheur plus pure. Néanmoins, avec un tel tableau, un peintre ne saurait que dire adieu à la peinture, et Malévitch lui-même en était parfaitement conscient. L'année suivante, il organisa une exposition à Moscou : « De l'impressionnisme au suprématisme », y montra cent cinquantetrois toiles et déclara que la peinture prenait fin précisément avec ces toiles (ce n'est pas pour rien que le mot français suprême signifie à la fois et le « plus haut » et le « dernier »). Tatline (comme, après lui, Rodtchenko et quelques autres, Lissitski, par exemple) s'éloignait lui aussi de la peinture, mais par un autre chemin : il remplaçait le tableau par des pièces de bois ou autres « matériaux », comme il les appelait, fixés à une planche, ou bien par un « objet », dressé sur un socle, offert de tous côtés à la contemplation, comme une sculpture- en ronde-bosse. Cela s'appela constructivisme ou, un temps, objectivisme ; mais comme un objet peut fort bien servir à autre chose qu'à l'art pur, pourquoi ne pas passer à la confection d'objets utilisables dans la vie réelle ? D'autant plus qu'un besoin urgent commençait à se faire sentir de certains ustensiles pratiques, de poêles de chauffage, en particulier. Tatline s'attela donc au projet d'un poêle qui, avec la plus petite dépense de combustible, donnerait le maximum de chaleur. Après quoi vint le modèle d'une théière, puis d'une chaise en métal. .. Mais dès avant la chaise, il eut maille à partir avec ceux qui disaient : « Fort bien, mais tout cela est-ce vraiment de l'art ? » Des différends avaient déjà surgi auparavant. Il y eut même des pugilats. En 1915, Malévitch et Tatline s'étaient battus pour savoir lequel des deux régnerait sur l'exposition à laquelle ils participaient ensemble. Les querelles étaient provoquées aussi par la répartition des toiles dans les musées : Rodtchenko avait l'intention d'expédier une des sculptures de Gabo à Tsarevokokchaïsk, c'està-dire dans la plus inculte province, au grand dépit de Gabo à qui Kandinski avait annoncé la nouvelle. A l'Inkhouk de Moscou (Institut de culture artistique), organe suprême de direction de l'art, fondé en mai 1920, tous les collaborateurs de Kandinski se liguèrent contre lui au bout de quelques mois et lors d'un vote firent échec à son programme ; Kandinski r

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