280 tant moins qu'au début on ne voyait pas clai- . rement qui rallierait leur drapeau et qui ne le rallierait pas. Deux « collèges » ( directions collectives) furent adjoints -au Département l'un à Pétersbourg, sous la présidence d'Altman, et l'autre, un peu plus tard, à Moscou, sous la présidence du « constructiviste » Tatline. Dans le premier, toutefois, entrèrent Tchékhonine, fidèle aux préceptes du Monde de l'Art, le sculpteur Matvéïev, qui avait du talent, mais qui fuyait les extrêmes, l'architecte Chtchoussiev, habile, fort éclectique (c'est à lui que fut confiée plus tard la construction du mausolée de Lénine), et, de plus, Maïakovski, son ami Joseph Brik et un des critiques de la revue Apollon, Nicolas Pounine, qui « gauchissait » à vue d'œil - en direction de Lénine et de Tatline à la fois. De même, dans le « collège » de Moscou, à côté de Kandinski (revenu en Russie au début de la guerre) et du « suprématiste » Malévitch, siégeaient Machkov et Paul Kouznetsov, le sculpteur Konenkov, l'architecte Joltovski, artistes de renom mais qui n'étaient d'avant-garde que relativemen·t. Néanmoins, les actes et les résolutions de l'IZO furent révolutionnaires, et révolutionnaires doublement, eux aussi, selon la ligne d'Octobre et selon celle du suprématisme (ou du constructivisme). Nous reviendrons à ces deux tendances ainsi qu'aux actes de l'IZO, mais tout d'abord il convient de souligner que, dès les premiers mois de 1918, tout n'allait pas exactement comme l'avaient rêvé ceux qui avaient misé à la fois sur Tatline (ou Malévitch) et sur Lénine. Au moment même où Lounatcharski et Schterenberg commençaient à administrer le domaine artistique, Lénine s'en occupait luimême, tout au sommet. Ce fut sur son initiative et ·selon un plan qu'il avait chaleureusement approuvé que s'élevèrent à Pétersbourg, à Moscou, dans les villes et parfois même dans les villages, des statues aux héros les plus divers de la « Révolution mondiale » : à Marx, mais aussi à Heine, que Marx détestait cordialement (la statue de Heine fut, Dieu sait pourquoi, érigée devant l'Université de Pétersbourg) ; à Bélinski, mais aussi à Bakounine (le monument ne fut pas du goût des anarchistes,. qui le détruisirent le jour même de son inauguration à Moscou); à Tchernychevski, mais aussi à Moussorgski, à Courbet,, et même (ce n'était visiblement pas Lénine lui-même qui avait établi la liste) à Cézanne. Ces monuments avaient été élevés à la hâte; les matériaux employés étaient médiocres et peu destinés à Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL cet usage; mais ce n'était pas seulement pour cela qu'ils présentaient un aspect si pitoyable, c'était aussi parce qu'ils avaient été exécutés, à de rares exceptions près, ·dans une manière tout ce qu'il y a de plus « avant-hier », de sorte qu'ils ressemblaient à des moulages de têtes et de corps d'après nature, mais de têtes énormes et de corps gigantesques'. Les gamins leur jetaient des boules de neige, les passants riaient sous cape... Leur existence fut brève. L'ordonnance· et son application ne furent qu'un épisode, lequel, toutefois, renfermait un présage assez troublant. A l'IZO, pendant ce temps, on ne restait pas les bras croisés. En premier lieu, on créa, au· sein du Collège de Pétersbourg, un bureau des musées, auquel le gouvernement assigna deux millions de roubles pour l'achat d'1 œuvres d'art et pour l'installation de musées dans " l'ensemble du pays. On en ouvrit trente-six en trois ans, et vingt-six autres étaient en projet ; après quoi, le collège et le bureau moururent de leur belle mort. Le directeur du- bureau était Alexandre Rodtchenko, disciple d'abord de Malévitch, ensuite de Tatline, pour la peinture, communiste de convictions, mais sans· la carte du Parti qui lui avait été refusée pour un 1notif répondant à la réalité mais tout de même énigmatique : « insuffisance de culture» (cela voulait dire; sans doute, ignorance de la « grammaire politique » du Parti). On acheta beaucoup de tableaux et, bien entendu, les artistes « de gauche » ( par le caractère de leur art) ne furent pas oubliés. Cela suscita même l'indignation de la Pravda : elle t'crivit, le 24 novembre 1918, qu'il fallait acheter des · tableaux non aux futuristes « dont ·l'avenir était incertain », mais à des artistes tels que Benois, Golovine et en général aùx maîtres d'avant la révolution dont la réputation était solidement établie. A cela, Lounatcharski répondait qu'on avait choisi des toiles chez les peintre~ de toutes les écoles « mais en premier lieu cliez ceux qui, sous lç règne du goût bourgeois, se trouvaient hors la loi et par suite n'étaient pas représentés dans nos galeries » (l'Art de la commune, n° 1, 7 décembre 1918; ces deux citations sont prises dans le livre de Camille Grey : The Great Experiment, Londres 1962, p. 220). Personne ne craignait encore de se trouver « hors la loi », d'une manière toute nouvelle. , Le second pas décisif de l'IZO fut a Pétersbourg, cette année-là, la fermeture de l'Académie des arts, remplacée en 3utomne pâr le Svomas (les Ateliers libres), et à Moscou, au même moment, la création du Vkhoutemas (les
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