278 qu'à la fin de sa vie à Paris ou en Italie. Vroubel, Lévitan et Sérov avaient fait des séjours à l'étranger et connaissaient mieux que personne avant eux en Russie la peinture occidentale vivante, créée loin des Salons comme des salons. (Fait caractéristique, cependant : Vroubel, dans sa jeunesse, s'engoua du fameux Fortuny, sans percer à jour sa nullité.) Borissov-Moussatov fut à Paris élève de Cormon, mais il admirait davantage Puvis de Chavannes et Gustave Moreau. Benois, Somov et Diaguilev fondaient à Pétersbourg la revue le Monde de l'Art (1898-1904) qui servit de véhicule aux copceptions et tendances nouvelles, d'origine occidentale, de même que ses héritières : la revue moscovite la Toison d'or (1906-1909) et la revue pétersbourgeoise Apollon (1909-1917). C'est aux idées de Benois, de Diaguilev (qui n'était ni un peintre ni un écrivain, mais un organisateur, un réformateur du goût, ce qui à cette époque était tout aussi important), et au talent d'artistes tels que ce même Bènois, Korovine, Bakst, Golovine, Doboujinski et un peu plus tard Sapounov que les décors et la mise en scène du théâtre russe doivent leur renouvellement : d'abord rafraîchis par la brise qui soufflait de l'Occident, ils servirent ensuite de modèle à celui-ci. Dans ces mêmes. revues, dans ces mêmes cercles artistiques, fut élaboré avec non moins de ferveur un art graphique qui .au début suivit également les modèles occidentaux, surtout anglais et allemands. En 1904, la couverture et les vignettes de la revue littéraire la Balance étaient exécutées d'après les dessins d'Odilon Redon, commandés à Paris, mais c'était la fin de l'apprentissage : en 1914, à l'exposition de Leipzig, consacrée au livre et à l'art graphique et fermée prématurément à cause de la guerre, l'originalité de l'apport .russe dans ce domaine fut reconnue par tous et le pavillon russe (organisé par le rédacteur en chef d'Apollon, S. K. 'Makovski) eut un succès exceptionnel. Ainsi le nouveau régime de l'art russe fut établi dès le début du siècle grâce à des contacts renoués avec l'art occidental qui, pendant près de cinquante ans, était resté lettre morte pour la Russie, dissimulé par le pseudo-art officieux ou officiel qui (provisoirement) triomphait un peu partout. Ce nouveau régime s'opposait à l'ancien non pas tant par la vigueur des talents qu'il mettait en avant et l'éclat de leurs œuvres que par les transformations du goût et du jugement qu'il suscitait et par les horizons nouveaux qu'il découvrait non seulement à la peinture et à la sculpture, mais à tous les arts Biblioteca Gino Bianco· , "-1 LE CONTRAT SOCIAL et en particulier aux arts « appliqués » ou décoratifs. Ce n'est pas par hasard que tout ce mouvement fut mêlé à ses sources au « ]ugend- . stil » allemand et aux mouvements de renouveau qui lui étaient apparentés en Angleterre, en France, en Belgique, en Hollande et dans les pays scandinaves. Voilà pourquoi la nouvelle génération commença à trouver provinciales non seulement la peinture récente (Chichkine, par exemple, ou Verechtchaguine, ou même Polénov et Vasnetsov), non seulement la sculpture d'un Antokolski ou d'un Bernstamm, mais tout le décor domestique de l'ancien régime, l'architecture et le mobilier « style russe », les reliures des « classiques » en calicot bariolé, ornés sur le plat de portraits en relief. de l'auteur, ou ces marbres et ces bronzes prétendument « artistiques », dans le genre de celui qui est décrit dans la nouvelle de Tchékov qui s'intitule L'Œuvre d'art. Cette remise en question toucha tout aussi bien. le passé. Les tableaux de l'Eri:nitage reprirent vie; ce qui repoussa dans l'ombre, sur d'autres cimaises, non loin de là, Le Dernier Jour de Pompéi de Brullov, la Phriné. de Semiradski et Les Zaporogues écrivant leur réponse au sultan de Répine. On redécouvrit le. charme du vieux Pétersbourg, la qualité réelle des icônes anciennes, la beau té de l'architecture religieuse de la vieille Russie. Celui qui voudrait aujourd'hui apprécier à vue d'œil la différence entre les habitudes et les goûts de la veille et ceux qui les relayaient si rapidement n'aurait qu'à feuilleter !'Histoire de l'art èn trois tomes de P. P. Gnéditch, fort répandue au début du siècle, et ensuite ce même Apollon, ou !'Histoire de la peinture de Benois, ou la première Histoire (collective) de l'art russe, publiée avant 1914 dans la rédaction d'Igor Grabar et restée inachevée ( à cause de la guerre) comme l'ouvrage précédent. Le contraste qui lui sautera aux yeux sera on ne peut plus instructif, car la différence, ici, est ·bien plutôt celle de deux niveaux culturels que celle de deux générations successives. Il est impossible d'imaginer un homme tant soit peu cultivé, où que ce soit dans le monde actuel ou dans celui d'hier, qui, après avoir pris connaissance de ces livres, préfère Gnéditch à Benois ou à Grabar. Cette brusque élévation de niveau, cette rapide as~imilation des goûts, des conceptions et des opinions de l'Europe occidentale ne pouvait être au début que le fait d'un cercle assez restreint. Issu des deux capitales, le renouveau ne gagna le reste du pays qu'à, un rythme· assez lent. En outre, le· « ]ugendstil »
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