Le Contrat Social - anno XI - n. 5 - set.-ott. 1967

L'ART SOUS LE RÉGIME SOVIÉTIQUE par Wladimir Weidlé . . VERS LA FIN du siècle dernier, un chan- . gement dans l'art russe survint, qui prit toute son ampleur dans les premières années du xxe siècle. Il ne s'agissait pas seulement de la relève d'une génération par une autre, ni d'une nouvelle tendance en peinture ou dans tel autre art. Ce fut une mutation, beaucoup plus profonde et beaucoup plus vaste, qui aboutit à un renouvellement général de la vie artistique, littéraire, de l'ambiance culturelle tout entière du pays. Ce renouveau modifia non seulement l'art lui-même, mais l'attitude vis-à-vis de l'art : celui-ci dut répondre à des exigences accrues, et l'intérêt qui lui était accordé grandit considérablement. Ce qui plaisait cessa de · plaire. Ce qui satisfaisait il y a peu de temps encore parut médiocre et provincial. A la fin de sa vie, Ruskin assurait n'avoir jamais rencontré un authentique croyant qui s'intéressât sincèrement à l'art en tant que tel. De même, les hommes des années 60, les « intellectuels » (avec la nuance politique spéciale que les Russes mettaient dans ce mot), n'avaient de zèle que pour ce qu'ils considéraient comme le Bien et ne voyaient dans l'art qu'un moyen accessoire d'exprimer des idées que, sans la censure, on eût pu parfaitement exprimer de la façon la plus pédestre (comme disent les Anglais), dans une langue dénuée de toute noblesse ou poésie. En cela, leurs croyances se distinguaient des croyances religieuses, mais ils leur étaient dévoués religieusement, grâce à quoi ils conservèrent leur empire sur les esprits pendant plus d'une décennie. Dans les années 90, cependant, leur pouvoir s'affaiblit. Les gens cultivés, sans devenir nécessairement plus conservaBiblioteca Gino Bianco teurs, montrèrent une tendance à se soustraire à l'ancienne tu telle idéologique ; il n'y eut plus .guère, pour lui rester soumis sans protester, que les lecteurs des brochures de vulgarisation, les « semi-intellectuels » : ce surnom leur fut donné précisément par l'intelligentsia nouvelle manière, qui n'était plus entièrement taillée sur le patron de 18601870. La tendance politique cessa d'être la mesure du jugement en matière d'art : au contraire, on formulait des réserves à son égard. En 1883, déjà, Vroubel, lors de l'exposition des Ambulants fidèles aux années 60, s'était plaint de ce que « l'artiste ne conversât pas amoureusement avec la nature, tout occupé à inculquer sa tendance dans l'esprit du spectateur ». Pourtant c'est de Vroubel (18561910), comme de Lévitan (1860-1900) et de Sérov (1865-1911) que date ce qu'on pourrait appeler la libération de la peinture. Quant à la sculpture, -on peut dire que c'est Troubetskoï (1866-1938) qui commença à la libérer, et pour apprécier la rapidité avec laquelle l'histoire se mit alors en marche, il suffit de se rappeler que son contemporain Kandinski (1866-1944) était plus âgé que Borissov-Moussatov (18ï0-1905), Benois (1870-1960), Somov (1869-1939), Bakst (1868-1924), Diaguilev (1872-1929), et d'un an seulement plus jeune que Sérov. Le Moscovite Kandinski se fit une renommée à Munich où il s'installa dès 1897, l'année même où le prince Paul (ou Paolo) Troubetskoï, né et élevé en Italie, revint, sur les instances du tsar, à Moscou, où il commença à enseigner la sculpture non plus d'après des moulages n1ais d'après le modèle vivant ; en 1906, il repartit pour l'étranger et vécut jus-

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