Le Contrat Social - anno XI - n. 5 - set.-ott. 1967

276 J même de le constater, mais il n'est pas ~ même de le concevoir, habitué qu'il est, voire conditionné, à se placer d'instinct au niveau de ses électeurs et à s'y maintenir. Fût-il capable de leur parler en d'autres termes qu'il ne saurait y songer, car cet autre langage, l'opinion américaine ne le comprendrait ni ne l'admettrait. Tout vocabulaire nouveau sèmerait la confusion dans les esprits et l'innovateur se verrait taxer de « duplicité » par un public persuadé que le « message » américain doit rester « clair » : « Nous n'avons rien à cacher, rien à exagérer. » Naïveté ? Peut-être, mais cette naïveté -·- ou cette patience - est profondément enracinée dans la conscience américaine. Et c'est cet enracinement qui importe. A cet égard, il est instructif de comparer l'histoire des Etats-Unis à celle de l'Empire romain. L'-expansion de ces· deux nations n'a été ni prévue ni voulue : elle fut le résultat d'interventions successives aux côtés d'alliés qui devinrent par la suite des clients. Rome dut attendre Auguste et Virgile pour justifier, rétrospectivement, cette expansion qu'il s'agissait alors de préserver : Tu imperio populos Romane memento. Aux Etats-Unis, dès l'époque de Jefferson, d'Adams, etc., se multiplient les professions de foi en une vocation américaine de servir de modèle aux peuples de l'univers - et de -leur en faire la démonstration chez eux... Comment concilier le monolithisme dont il est question, somme toute, au long de cet article, et les protestations violentes contre la guerre au Vietnam, les drapeaux brûlés, les accusations de génocide contre le Président et contre l'armée ? Pour étrange que cela puisse paraître, les deux phénomènes sont le produit homogène d'une mentalité unique : tous deux expriment le même zèle de convertir le monde à l'américanisme, et dans un cas comme dans l'autre on se sert des mêmes instruménts pour y parvenir : la puissance des Etats-Unis, y compris la pression économique, culturelle et militaire. Partisans du président Johnson et opposants à sa politique sont engagés en une sorte de shadow-boxing : ils se complètent plutôt qu'ils ne s'opposent, en sorte que la somme totale de bonne conscience, indispensable chez un peuple invariablement puritain, est préservée ; ce que les uns, partisans de la guerre, pourraient perdre en matière de bonne conscience, les autres, dans l'opposition, le Biblioteca. Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL leur restituent. Inversement, l'avantage d'être les maîtres de la planète est racheté par l'acte gratuit qui consiste à en dénoncer les méthodes. A aucun moment ne ·viendrait à l'esprit des protestataires (c'est-à-dire de la majorité qui est de bonne foi, non pas des agitateurs) de concevoir l'avenir du monde autrement que ne le conçoit Johnson, c'est-à-dire imprégné du mode de vie et de l'idéal américains. * * * RÉFLÉCHISSONS,pour terminer, sur le cas concret du Vietnam. Il y a vingt-cinq ans, Roosevelt a, · sinon recherché, du moins accepté la guerre dans le Pacifique en poussant les Japonais à attaquer les premiers. Au moment même où l'Europe occidentale fut envahie par les armées de Hitler, le président des Etats-Unis savait pertinemment que la destin~e de son peuple se jouait non pas en Europe, mais sur l'immense scène du Pacifique et de l'Extrême-Orient. Il démontra par l'action que son pays est moins une puissance occidentale « selon les règles » qu'une puissance mondiale~ ·post-occidentale. . Ayant battu le Japon, son rival dans· cette immense région, on peut être sûr que l'Amérique ne s'y laissera pas distancer par un concurrent nouveau, la Chine. Gagner la guerre en 1945 pour la perdre (car c'est toujours la même guerre) en 1967 ? Ce serait abdiquer le rôle de grande puissance. D'autant que les pays de l'Extrême-Orient et du Pacifique, de la Thaïlande au Japon et de la Corée du Sud à l'Australie, saluent la présence américaine comme une garantie de sécurité et de prospérité. La conquête soviétique de 1945 a engendré la misère et l'esclavage dont les satellites commencent seulement, et avec quelle lenteur, à se débarrasser ; l'expansion des Etats-Unis a donné un élan sans précédent aux pays .de l'Océanie qui, selon la remarque récente du président Marcos; des Philippines, « ne veulent pas que cette présence devienne définitive, mais désirent qu'elle continue encore longtemps ». Une fois de plus, l'intérêt du peuple américain et sa manifest destiny, proclamée au siècle dernier, coïncident .. L'expansion vers l'Ouest continue, même si le nouveau Far West se n6mme Far East. THOMASMOLNAR. \.

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