274 De la même façon il est incontestable que le marxisme trouve, chez les intellectuels américains, un écho souvent inquiétant. Encore importe-t-il de distinguer entre la minuscule minorité communiste (quelques milliers de personnes) et les intellectuels qui, pour des raisans de prestige, aiment à s'exprimer en langage marxiste - sans pour autant trahir l'idéologie américaine qui reste leur idéal. Aux yeux de ceux-ci, le marxisme, version brutale du méliorisme, parce qu'adaptée aux sociétés traditionalistes ou rétrogrades de l'Asie, de l'Amérique latine - voire de l'Europe, - le marxisme, donc, pourrait agir au sein de la société américaine comme un stimulant, un mécanisme accélérateur vers l'idéal américain ·, cela en dépit du fait qu'il ne pourrait perfecti~nne! le système américain en tant que tel, n1 assigner au pays un autre idéal que l'idéal « américain », c'est-à-dire pluraliste démocra- . ' tique, etc. ·* ** P , AR VOIE DE CONSEQUENCE, nous nous trouvons devant le paradoxe suivant, source de nombreuses erreurs de calcul à l' étranger : l'Am:éricain qui a soùvent l'air d'un être instable, superficiel, d'un capricieux et d'un adorateur ~e toute espèce de nouveauté, est au fond profondément conservateur, tourné moins vers l'avenir que vers l'idéal proclamé par ses ancêtres, idéal auquel il reste fidèle. Peu doué d'imagination, il ne conçoit d'autre cadre au bonheur que celui qui est le sien. A chaque moment de son existence, il l'affirme : l'American way of life consiste non pas en un désir d'y apporter le moindre changement d'orientation, mais d'agrandir, d'élargir, d'augmenter ce qui existe déjà. T~l est le secret de son fameux matérialisme. Les Américains ne sont pas plus rapaces que d'a-utres, mais ils croient s'approcher de l'idéal par des quantifications successives de leurs ré?lisations. · Ainsi lorsque le correspondant du Monde à Washington décoche ses flèches empoisonnées contre le présiqent Johnson (7 juillet 1.967) qui énumérait, le soir de sa rencontre récente avec Kossyguine à Glassboro, les réalisations américaines (deux tiers des voies ferrées et ' des automobiles du monde sur le territoire des Etats-Unis), il a eu la vision brouillée· par son mépris de l'AfUérique « matérialiste ». En vérité, le président Johnson se vantait, en pur style américain, de ces chiffres parce qu'ils ont pour lui et ppµr son peuple, valeur de sym~ bole. En ajoutant que l'humanité entière aura Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL droit un jour à ce même bien-être, il prêçhait une sorte de croisade conçue à l'américaine, en chef qui venait de gagner une partie décisive contre un adversaire à la fois réel et fictif. Car, , aux yeux des Américains, Kossyguine est moins · le chef d'une grande puissance rivale que le représentant d'une idéologie cherchant à atteindre les objectifs américains ailleurs que 1à où ils se trouvent. · .. L'important serait de se rendre compte que le président Johnson ne parle pas qu'en son nom personnel. La naïveté qui pousse certains journaux françai~ à déceler toutes sortes de divisions dans l'opinion publique américaine est presque touchante. Plus souvent, d'ailleurs, les reporters admettent que, si la division existe, le parti anti-Johnson (en l'occurrence à propos de la guerre du Vietnam) n'a pas encore pris consistance, est encore amorphe, etc. Ces ' mêmes journalistes lancent alors des noms autour desquels, à leur avis, l'opposition ne manquera pas de se cristalliser : soit des démocrates tels que Fulbright et Kennedy soit un républicain comme Romney. ' C'est concevoir les buts de la politique étrangère de Washington sur le modèle de ceux d'autres pays, ravagés de luttes intestines, surtout de pays au soir de leur puissance, partant désunis, divisés sur la voie à suivre. La diplomatie .de Washington est, en demièr~ analyse, inspirée moins par les vues de l'esprit chez certains intelle~tuels progressistes que par l'instinct profond du peuple, instinct qui coïncide avec les grands intérêts de la nation. A première vue, le parti républicain serait le parti nationaliste, gardien véritable de cet instinct et de ces intérêts, tandis que les démo- , crates, parti des petites gens, seraient pacifistes, soucieux uniquement de réformes sociales. La . , ' . presse « progressiste » etrangere en tient d'ordinaire pour cette interprétation, ainsi d'ailleurs que les « libéraux » américains. La vérité ·est autre : les républicains inclinent vers l'isolationnisme, exaltant les avantages de la fortress America; les démocrates, recrutant leur électorat parmi la population urbaine, sont plus agressifs dans leurs visées de politique étrangère, tout en s'exprimant dans un langage messianique à l'intention de l'humanité abstraite. La preuve en est que les EtatsUnis so.q.tentrés dans les guerres de ce siècle sous un président démocrate, tandis que les présidents républicains cherchaient à en sortir. Cela ne signifie pas que les deux partis soient vraiment éloignés dans leur objectif. . d ' 1 and · r qu1 est e creer une seu e gr e puissance
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