270 mation « Aux citoyens de la Russie » disant pour l'essentiel : « Le pouvoir de l'Etat est passé aux mains de l'organe du Soviet des députés ouvriers et soldats de Pétrograd, le Comité militaire révolutionnaire... » Signé : le Comité militaire révolutionnaire. Sous la phraséologie de circonstance où le « prolétariat » et les « masses » servaient de pseudonymes à Lénine, la seule réalité efficace était bien le Comité militaire du Soviet : les faits et les textes irréfutables de l'époque l'attestent. Le coup d'Etat fut une conjuration militaire réalisée sous la direction d'un comité militaire contre un gouvernement sans défense militaire. Là gît la tare originelle du régime soviétique. Trotski ne s'est pas gêné, à la tribune du Soviet, de parler ouvertement du soldat « aux mains de qui se trouve le pouvoir ». Lénine a pu dire post factum : « Il était facile de commencer la révolution dans un pays pareil. C'était plus aisé que de soulever une plume. » John Reed a pu écrire dans son fameux livre : Dix jours qui ébranlèrent le monde : « Seuls Lénine et Trotski étaient pour l'insurrection », façon de s'exprimer qui en dit long sur la part du prolétariat dans cette « grande révolution prolétarienne». Trotski n'eut donc pas tort d'écrire que « sans Lénine et sans moi, il n'y aurait pas eu de révolution d'Octobre ». Staline eut raison de reconnaître que « tout le travail d'organisation. pratique de l'insurrection s'effectua sous la direction immédiate de Trotski ». Et tout le reste est littérature, comme a dit le poète à propos d'autre chose. * ** AINSI LÉNINEavait réussi non seulement à devancer de quelques semaines l'Assemblée constituante dont il pressentait (23 octobre) qu'elle « ne sera pas pour nous », mais aussi à précéder de quelques heures le deuxième Congrès des Soviets dont la majoriti ne lui paraissait pas· sûre, malgré l'afflux prévisible de délégués bolchéviks encadrés par les « révolutionnaires professionnels » du Parti qui allaient représenter les soviets locaux « décomposés- et putréfiés » dont ils s'étaient rendus maîtres. Les socialistes-révolutionn·aires et les menchéviks quittèrent le Congrès des Soviets, à l'exemple de tant des leurs qui avaient déserté les soviets locaux, laissant le champ libre aux futurs communistes, toute discussion étant inutile et, d'ailleurs, impossible avec des rivaux devenus ennemis intraitables : autant palabrer avec un mur. Lénine av~t ·écrit naguère à juste BibliotecaGino Bianco LE CONTRAT SOCIAL titre (29 septembre, cf. supra) que seule « l'alliance des bolchéviks avec les socialistes-révolutionnaires et les menchéviks (...) rendrait la guerre civile impossible » et (10 octobre, cf. supra) qu'elle pourrait « assurer le développement pacifique de la révolution ». Autant en emporta le vent d'Octobre. L'intransigeance de part et d'autre rendit la guerre civile inévitable. Entre deux minorités, comme Pierre Struve l'a bien expliqué plus tard dans ses commentaires, et le gros de la population se tenant sur l'expectative, une lutte atroce allait s'ensuivre dans laquelle devait l'emporter la minorité la mieux organisée, la moins traditionnelle, la plus éner- . gigue. Il appert des textes cités plus haut comme de tant d'autres reproduits dans notre revue précédemment, tiré de L'Etat et la Révolution en particulier, que Lénine s'était trompé, parfois avait trompé, sur toute la ligne, sauf sur un point : la possibilité de s'emparer aisément du pouvoir. Sur ce point seulement, de caractère pour ainsi dire technique, il a eu raison contre ses camarades du Comité central qui ne l'ont suivi qu'à contrecœur. Mais jamais il n'avait été question dans un parti socialdémocrate, et le parti de Lénine se dénommait encore ainsi, de s'emparer du pouvoir unique- - ment pour tenir le pouvoir, puis de le conserver coûte que coûte, en sacrifiant les principes, le programme et des millions de vies humaines. On a donc ici le droit de se citer soi-même, à plus de trente ans d'intervalle : « Les bolchéviks avaient promis la Constituante sans délai ; ils durent l'ajourner, puis la dissoudre. Ils protestaient contre la peine de mort dans Parmée ; _ils la rétablirent après l'avoir supprimée, puis la décrétèrent pour les civils comme pour les militaires. Ils s'oppo- . saient v,iolemment au transfert de la capitale à Moscou ; ils le réalisèrent. Ils reconnaissaient aux nationalités le droit à l'indépendance ; ils les incitèrent à se séparer de plein gré pour les soumettre ensuite de vive for.ce. Ils dénonçaient avec véhémence toute paix séparée ; ils furent contraints de la signer. Ils s'étaient engagés à mener plutôt une guerre révolutionnaire ; ils ne purent tenir parole. Ils voulaient la paix démocratique ; ils subirent une paix honteuse' (Lénine dixit). Ils promettaient la terre aux paysans ; ce fut pour en I confisquer les produits (ensuite, pour !'étatiser). Quant à l'abolition de la police, de l'armée permanente et du fonctionnarisme, on la renvoya sine die ; les institutions condamnées par Lénine devaient
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