QUELQUES LIVRES ment, admettent la nécessité de l'apport des Etats-Unis pour la modernisation des structures, sans approuver les privilèges parfois exorbitants de certaines compagnies privées. En fait, l'anti-nord-américanisme viscéral des populations sud-américaines traduit le sentiment qu'elles ont de leur faiblesse économique, de leur sujétion aux cours mondiaux des matières premières, et de l'impuissance où elles se trouvent de sortir de cette situation par leurs propres moyens. Pays agraires, en dépit de leur progrès industriels, et vivant de l'exportation, ce sont des pays à la fois en proie aux rivalités internes et dépendantes des nations industrielles. Tout progrès stabilisant leurs économies dimi- . ' nuerait la passion anti-nord-américaine qu'exploitent communistes et philocastristes. Ceuxci, qui constituent un ferment de xénophobie, prospèrent dans la mesure où la société reste sous-développée, où l'immobilisme social résiste aux tendances de progrès. C'est pourquoi les partis « révolutionnaires » recrutent parmi les fils de l'oligarchie ou de la vieille bourgeoisie une grande partie de leurs intellectuels. Au nom des schémas marxistes-léninistes, ils sont en fait les tenants d'un conservatisn1e nouveau hostile à tout changement réel qui viendrai~ de l'extérieur comme à toute réorganisation socia~e.pouvant consolider un Etat moderne et dynamique. Mais ce conservatisme se pàre de mythes idéologiques dont une certaine intelligentsia a besoin pour s'évader de son provincialisme. Ainsi s'est formée une légende autour de Fidel Castro et des maquis de la Sierra Maestra : la lutte armée, préconisée par la conférence de La Havane, apparaît comme la pensée maîtresse des révolutionnaires pensée théorique ou idéal plus ou moins loi~tain en général, la plupart d'entre eux se montrant fort réticents, quant au présent, pour ce genre d'act~vité. En fin de compte, le monde sudaméricain apparaît comme une réalité marginale participant en même temps du « sous-développement » et de l'essor industriel, une réalité chaotique et instable où se combinent traditions et mutations, où les forces sociales se nouent et se dénouent en des combinaisons variées. Le livre de Luis Mercier Vega, évitant les formulations abstraites et les idéologies a priori, pénétré d'expériences vécues, ouvre une fenêtre sur ce monde nouveau ; il soulève des problèmes qu'auparavant on aurait à peine soupçonnés. M 1c11i::1. CoLLINET. Biblioteca Gino Bianco 261 FRANÇOISBouRRICAUD: Pouvoir .et société dans le Pérou contemporain. Paris 1967, Libr. Armand Colin ( « Cahiers de la Fondation nationale des sciences poli tiques », n ° 149), 320 pp. LES OUVRAGEdSe Luis Mercier Vega et de François Bourricaud se complètent en se différenciant. Aux larges synthèses continentales du premier s'opposent les analyses en profondeur du second, qui limite son objet au seul Pérou. F. Bourricaud est l'auteur d'une traduction commentée de Talcott Parsons 1 et d'une œuvre remarquable de sociologie politique 2 • Son dernier ouvrage, fruit de plusieurs séjours au Pérou depuis les années 50, décrit les bouleversements récents, la mobilisation, pour parler comme l'auteur, de la société traditionnelle. Dès la première page, celui-ci insiste sur une originalité trop souvent insoupçonnée de l'observateur européen : « La misère des masses analphabètes, l'avarice de l'oligarchie, le sabre au service de l'argent, les partisans du progrès en prison ou en exil, rien de plus conforme à mes attentes. Je m'aperçus pourtant assez vite que le schéma était inapplicable à force d'être grossier ... » A l'observation personnelle, l'auteur ajoute des sources écrites, romans « indigénistes » et presse quotidienne, où il découvre les aspects variés, temporels, de la société indienne imbriquée dans la nation, et de ces classes moyennes aux contours fluides où l'on trouve les métis. La vieille société agraire celle qui vécut de l'exploitation illimitée de~ communautés indiennes sur les hauts plateaux des Andes, se désagrège : révoltes indigènes contre les grands propriétaires ; en marge, le cholo, l'Indien parvenu qui s'urbanise et chez qui ~oexistent « l~s pulsions radicales et la précaution conservatrice » (p. 9) ; enfin, fuite des campagnes vers les villes où cholos et métis vont grossir les classes travailleuses, les classes moyennes surtout, dont les enfants peuplent les universités et accèdent à la couche supérieure du salariat. L'oligarchie ne constitue pas une classe simp_leou homogène ; dans son analyse, F. Bourric_a,ude_n rév~Ie la complexité : à côté du proprtetaire foncier des plateaux andins habitué à vivre au-dessus des lois, exploiteur d'Indiens aux techniques archaïques, existe celui des vallées côtières, exportateur de coton et de sucre dont les ouvriers sont syndiqués et qui est lié à la banque, au commerce de gros et, dans 1. El~mtnli pour une ,ociologie de ractlon, Pion, 1955. ~. Eaqui,ae d'unt lhlorle dt l'auloriU, Pion, 1061.
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