260 tholique des immigrés latins avec ce que celle-ci comporte de passivité économique ? Il est évident quïl n'y a rien de commun, en tout cas, entre la chevauchée des pionniers de l'Amérique du Nord et celle des conquérants espagnols ou portugais ... L'oligarchie des grands propriétaires fonciers, fruit de cette situation, est encore bien vivante. Monopolisant à son profit l'indépendance des anciennes colonies, elle a transposé dans l'Etat ses habitudes familiales et sa domination ancestrale sur les travailleurs de la terre. Aujourd~hui, sous l'impulsion étrangère, d'abord européenne, puis nord-américaine, apparaissent les linéaments d'une société moderne, juxtaposée à l'ancienne, par quoi se creuse le fossé entre la misère des masses et les possibilités techniques du monde industriel. Des capitalistes nouveau style et une classe moyenne grandissante occupent les avenues du pouvoir et se pénètrent de l'esprit· oligarchique à la mesure de leurs succès : « Qui s'échappe de la condition ouvrière ou paysanne rêve aussitôt d'entrer dans le monde de l'oligarchie· (p. 20). » L. Mercier note la montée de cette nouvelle cla_sse,son appétit de pouvoir qui, en dépit de l'inertie régnante, tente de créer une économie industrielle et souhaite un Etat moderne, échappant à l'influence exclusive des clans. L'importance économique de l'Etat augmente en fonction .de la carence de la vieille oligarchie, de la faiblesse de la bourgeoisie traditionnelle. On voit se constituer -ce que l'auteur appelle une « classe de gestion », laquelle puiserait sa force dans le « magma » des classes moyennes dont la croissance numérique est un fait récent et généralisé. Le « tertiaire » social est si nombreux qu'en un petit pays comme l'Uruguay la répartition des activités reproduit, sur le mode caricatural, celle des Etats-Unis ... Mais ce « ter- 'tiaire » ne supplante pas l'oligarchie, il se développe et parfois gouverne en marge de celle-ci. La « famille » politique succède à la politique familiale traditionnelle, gardant ses traits essentiels dont le premier est d'assurer la subsistance de ses membres. Les universités sont les creusets de cette classe moyenne, les lieux privilégiés où elle s'exerce aux pressions politiques et où se coudoient les futurs dirigeants et les futurs opposants. Les étudiants sont les agents recruteurs des multiples tendances et sectes communistes ou philocastristes et même, comme au Venezuela, ils alimentent la guérilla prétendument paysanne, avant d'être admis à leur tour dans les cabinets ministériels. Les classes ouvrières, sauf dans les vieilles corporations - typographes, cheminots, etc. - BibliotecaGino Bianco LE CONTRAT SOCIAL où existe une tradition syndicaliste, s'agglutinent derrière les personnalités ou les partis au pouvoir et leur servent de masse de manœuvre. Le manque d'éléments qualifiés favorise l'évasion des meilleurs qui deviennent ou des dirigeants d~ l'économie, ou, plus fréquemment, des candidats au pouvoir politique. A notre avis, là réside sans doute la raison pour laquelle on ne saurait parler, en Amérique latine, de mouvements ouvriers analogues à ceux de l'Europe. Lorsque les syndicats n'émanent pas directem~nt du gouvernement en place, ils sont au servie~ des partis d'opposition qui aspirent au pouvoir. La bourgeoisie nationale est faible, trop imprégnée des attitudes périmées de la vieille caste dominante. Le capitalisme actif est le fait ~ des étrangers, surtout des Nord-Américains mais il trouve un rival ou un complice dan~ la puissance économique de l'Etat. Partout celui-ci détient des secteurs-clés dans l'indu~trie et la finance. Entrepreneur en même temps que collecteur d'impôts et de royalties, l'Etat est la vache à lait de la classe moyenne et de ses élites intellectuelles ou politiques. Contrastant avec la moqilité de celles-ci, l'armée constitue l'élément le mieux organisé pour la conquête du pouvoir, mais elle est le plus souvent inapte à l'exercer. Elle peut être le bouclier de l'oligarchie, mais également refléter les aspirations technocratiques de la classe moyenne ; il arrive qu'elle soit amenée à lutter tantôt contre le conservatisme à qui elle arrache des prébendes, tantôt contre les partis populaires qu'elle écarte des affaires publiques. Devant le manque d'organisation, les rivalités et la corruption des groupes politiques dominants, l'armée représe~te - sauf au Chili et en Uruguay - une puissance potentielle ou active toujours dangereuse pour les libertés, puissance capable de mo?~fi~ pour un temps le rapport des forces politiques classiques. L'anti-impérialisme, confondu aujourd'hui avec l'hostilité envers les Etats-Unis trouve sa source lointaine dans le nationalisme 'des vieilles oligarchies et dans leur résistance à toute modernisation économique. Devenu populaire, il symbolise une solidarité affective des nations latino-américaines, cachant mal leurs trop réelles oppositions : il signifie l'hostilité à la pénétration des capitaux étrangers autant que l'humiliation ressentie devant une aide nord-américaine soupçonnée d'être inspirée seulement par des considérations stratégiques. Les méthodes souvent maladroites et contradictoires de Washington embarrassent ceux qui, lucide-
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