QUELQUES LIVRES Une place à part LÉONCHESTOV(3 vol.) : La Philosophie de la tragédie (Dostoïevsky et Nietzsche). Sur les confins de la vie (L'apothéose du déracinement). Traduits et précédés de« Lecture de Chestov », par Boris de Schlœzer. Paris 1966, Flammarion édit., 360 pp. ; Le Pouvoir des clefs (Potestas clavium ). Traduction de Boris de Schlœzer. Précédé de « Rencontres avec Léon Chestov », par Benjamin Fondane. Flammarion, 1967, 340 pp.; Athènes et Jérusalem, Un essai de philosophie religieuse. Traduction de Boris de Schlœzer. Précédé de « L'obstination de Chestov », par Yves Bonnefoy. Flammarion, 1967, 350 pp. « ÜN A EMPOISONNÉSocrate », « on a empoisonné un chien enragé » : voilà deux jugements qui, selon la raison, sont des vérités éternelles. L'un et l'autre expriment des faits irréformables. L'un peut nous déplaire et l'autre nous laisser froids, mais tous deux également emportent notre assentiment. En face d'eux nous ne sommes pas libres. De même devant l'affirmation : « 2 X 2 = 4 » nous ne pouvons que nous incliner. Dieu lui-même n'y peut rien : ce sont des vérités incréées. Et Dieu ne peut pas non plus faire que ce qui a été n'ait pas été. Principe de contradiction, principe d'identité, voilà pour notre raison des nécessités contraignantes, absolues et universelles. Pas de connaissance sans elles. Et Kant et Descartes et saint Thomas d'Aquin et Socrate les ont admises. Nous-mêmes y avons été tellement habitués que nous ne concevons pas un autre mode de connaissance et que nous ne sentons pas le poids de cette Anagkè - qui brise nos élans de pensée et de vie. Le membre de phrase qui précède exprime Biblioteca Gino Bianco la pensée de Chestov, le philosophe russe dont la Librairie Flammarion vient de publier trois importants volumes. Léon Chestov est né à Kiev d'une famille juive aisée en 1866 - on a fêté l'année dernière son centenaire à l'O.R.T.F. et un peu dans la presse; il fut dans cette ville le camarade de Nicolas Berdiaev qui devait être plus tard son plus proche ami en même temps que son adversaire. Il est mort à Paris en 1938. Il a publié en Russie entre 1896 et 1920 nombre d'articles et de volumes qui lui ont valu une place en vue dans la renaissance philosophique de ce début du siècle. Dans l'émigration ensuite, il a conquis par une demi-douzaine de nouveaux ouvrages l'audience du monde occidental. Il a été traduit en Allemagne et en Autriche, en anglais, en italien et en espagnol ; on peut lire en français tout l'essentiel de son œuvre. Chestov estime donc que notre obéissance à ce que nous considérons comme les principes premiers de la connaissance est un esclavage dont il faut secouer le joug. Toute son œuvre est une guerre sans relâche contre cet esclavage conscient ou inconscient. Déjà en 1898, dans Shakespeare et son critique Brandès, il montrait peu de sympathie pour la pensée abstraite et la recherche d'une conduite logique. A partir de l'étude qui suit en 1900, sur L'Idée du Bien chez Tolstoï et Nietzsche, il pousse sa pointe. « La tragédie », c'est ce qui se passe quand, « par la volonté du destin, l'homme se heurte à la réalité et découvre à sa grande terreur que tous les beaux a priori n'étaient que des mensonges » ; alors « les doutes fondent sur lui ( ...), Socrate, Platon, le bien, la fraternité, les idées ( ...) disparaissent sans laisser de traces ... » (pp. 80-81 ). Dostoïevski, selon notre auteur, a éprouvé cette tragédie, et il en a tiré « la philosophie », principalement dans cet ouvrage que le traducteur de Chestov
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