Le Contrat Social - anno XI - n. 4 - lug.-ago. 1967

K. PAPAIOANNOU genre de diplomatie, écrit-il dans un texte qui n'a rien perdu de son acuité, n'est possible qu'aussi longtemps que le peuple demeure absolument passif, aussi longtemps qu'il n'a d'autre volonté ~~e ~elle, de son g'?uvernement, aussi longtemps qu il n a d autre vocation que celle de fournir les soldats et les impôts requis pour la réalisation des objectifs de la diplomatie. Dès que la Russie se développera intérieurement et, par conséquent, dès qu'elle connaîtra les luttes de partis à l'intérieur la conquête d'un régime constitutionnel où les luttes' de partis pourront se manifester sans violence ne sera plus. 9u'une question deAtemps. Mais alors la politique traditionnelle de conquete sera, elle aussi une chose d~ pass~. La ~ixité ,.et l'immutabilité d~s objectifs diplomatiques d1spara1tront dans les luttes des partis pour le pouvoir, de même que s'évanouira la toutepuissance de l'Etat .sur les forces de la nation. La Russie sera ( ...) un pays européen comme les autres e~ la force toute particulière de sa diplomatie traditionnelle se:a brisée à_ jamais ( ...). Si, à la place du tsar to1;1t-pu1ssant,surgit une Assemblée nationale ( ...), alors disparaîtront tous les prétextes à la folie d'armement qui transforme l'Europe tout entière en un camp militaire et qui fait apparaître la guerre presque comme une délivrance 26 ... Eg~le?1ent « géopolitique » et « historique » est 11dee que Marx et Engels se sont faite des deux derniers empires qui subsistaient en Europe : l'Autriche-Hongrie et la Turquie. Mais c'est ici que leurs thèses commencent à s'embrouiller. L'Autrichè-Hongrie et la question des nationalités A L'ÉPOQUE du Manifeste, l'Autriche-Hongrie - cette « Chine de l'Europe », selon le mot d'Andrann repris par Marx (IX, 97) - restait un empire d'ancien régime fondé sur la police et la domination de la minorité germano-hongroise sur une mosaïque bigarrée d'Italiens, Polonais, Tchèques, Slovaques, Slovènes, Croates, Ruthènes et Roumains. Bien entendu, en accord avec tous les démocrates européens de leur temps, Marx et Engels se déclarèrent d'emblée en faveur de la libération de l'Italie et de la restauration de la Pologne « dans ses frontières d'avant 1770 » (nous y reviendrons). En revanche, leurs thèses sur l'Empire austrohongrois et le sort de ses sujets slaves nous conduisent sur une voie dont on chercherait en vain la trace dans l'œcuménisme du Mani- ! este aussi bien que dans la « conception matérialiste de l'histoire ». Dès le début, aux revendications nationales des Slaves du Sud, ils op26. Engels : La Politique étrangêre du tsarisme, 1890; XX II, 38. Cela auHl n'a pas manqué de provoquer l'ire de Staline. D'après lui, Engels aurait été coupable d'une • surestimation du rôle de la révolution bourgeoise en Jlu11le, du rôle de l'Assemblée nationale russe en tant que forces capables d'empêcher la guerre mondiale ... •· Biblioteca Gino Bianco 225 posèrent une apologie systématique de la mission « civilisatrice » et de l'œuvre historique des Habsbourg qui ont réussi à « empêcher douze millions de Slaves de devenir turcs comme leurs congénères balkaniques 27 » : Qu'dh-il advenu de ces nations minuscules (Nattonchen) dispersées, qui ont joué un si triste rôle dans l'histoire, si les Allemands et les Hongrois ne les avaient pas fermement tenues en main et conduites contre les armées de Mahomet et de Soliman? Qu'eût-il advenu de ces faibles peuplades (V olkerschaften) si leurs prétendus « oppresseurs » n'avaient pas gagné les batailles qu'ils ont livrées pour les défendre ? Un autre bienfait fut l'incorporation des peuples slaves dans l'Empire : A l'époque où les grandes monarchies représentaient une « nécessité historique », quel « crime » c'était de la part des Allemands et des Hongrois que de réunir ces petites nations impuissantes, paralysées, minuscules, dans un grand empire, et de les rendre ainsi capables de participer au développement historique auquel elles resteraient étrangères si elles étaient abandonnées à elles-mêmes ? Evidemment, de telles actions ne s'accomplissent pas sans l'écrasement de quelques tendres fleurs nationales 2 1.,. Mais sans la force et une brutalité d'acier, rien ne s'accomplit dans l'histoire. Et si Alexandre, César et Napoléon avaient été capables de cette compassion à laquelle le panslavisme fait appel en faveur de ces clients moribonds, que serait devenue l'histoire ? Ces .considérations si hégéliennes sur l'Etat en tant que forme de participation des peuples (même soumis) au « développement historique » et où Alexandre, César et Napoléon font figure de génies tutélaires du « printemps des peuples », laissent peu de place au facteur économique cher au « matérialisme historique ». Et si Engels a évoqué une fois - mais subsidiairement et comme en passant - les impératifs économiques, ce fut pour déclarer- que « l'Allemagne orientale » ( c'est ainsi qu'il appelait l'Autriche) ne saurait tolérer l'avènement d'une nation slave quelconque qui la « couperait de ses débouchés naturels en Méditerranée et qui la ferait tomber en miettes comme une n1iche de pain rongée par les rats » (VI, 277) ... De surcroît, ces considérations géopolitiques se doublent d'une fort inquiétante distinction entre « peuples historiques » et « peuples anhistoriques » où l'on voit réapparaître le spectre de Hegel : Il_n'y a pas de pays en Europe sans un ou plusieurs vestiges de peuples subjugués par la nation qui est 27. Engels : Le Panslavisme démocratique 1849· VI 278. ' ' ' 28. Ibid., VI, 278-79. Nationmblumlein : allusion au passage de lo Philosophie de l'histoire où I legel compare les grands hommes à des • figures colossales qui ne peuvent marcher Rans pléllner quelque fleur innocente•· Cf. La Ral,on dans l' Ilistoire, p. 129.

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