Le Contrat Social - anno XI - n. 4 - lug.-ago. 1967

220 -la grande industrie en France, en Autriche, en Hongrie, en Pologne et dernièrement en Russie, et fait vraiment de l'Allemagne un pays industriel de premier ordre... Et c'est précisément cette révolution industrielle qui a engendré une véritable bourgeoisie et un véritable prolétariat de grande industrie et les a poussés l'un et l'autre au premier plan du développement social 8 • » De même, le « marché mondial » que les jeunes visionnaires voyaient planer sur le monde « comme le fatum antique » se réduisait alors à quelques produits de luxe, à des denrées tropicales, à quelques matières premières. L'Afrique noire figurait sur la carte comme terra incognita, ou plutôt n'était .connue qu'en tant que réservoir de main-d'œuvre . servile fournie par des aventuriers européens et des marchands d'esclaves arabes. L'Orient était encore un monde à part, sauf l'Inde et les quelques ports que la guerre de l'opium venait d'ouvrir (en 1842) en Chine. La Russie, avec son immense population de serfs, perpétuait le « despotisme oriental », tandis que le Japon, hermétiquement fermé sur lui-même, restait soumis au shogounat féodal. Comme dira Engels en 1894, la période 1815-47 n'a été que la « période infantile du commerce mondial », et ce n'est qu'après 1867 que « l'extension colossale des moyens de transport a établi pour la première fois, réellement, un marché mondial »4 • En fait, la valeur du commerce international entre 1850 et 1913 a été multipliée par dix et la progression la plus spectaculaire a été enregistrée pendant les vingt années qui suivirent la mort d'Engels. Dans l'ensemble, l'évolution économique et sociale avait confirmé toutes les anticipations (sauf les prophéties .catastrophiques et révolutionnaires) que le langage dialectiquement « achronique » du Manifeste avait transfigurées en autant de constatations rétrospectives 5 • En revanche, on reste rêveur devant les prédictions marxistes annonçant la fin des antagonismes nationaux et le dépérissement des . empires. Fin des empires ? IL Es T VRAI qu'au sortir de tous les bouleversements qui avaient marqué les quarante 3. Engels : Préface de 1895 aux Luttes de classes en France, 1848-1850, de Marx; XXII, 515. 4. K, III, 534, note (VII, 151, n.). 5. C'est ce qui a permis à Marx et à Engels à la fois de célébrer les progrès du capitalisme et de proclamer sa décadence. BibliotecaGino Bianco DÉBATS ET RECHERCHES années de la fin du XVIIIe siècle et du début du XIX\ le monde avait pris une figure toute nouvelle qui semblait conférer une apparence de vie à l'irénisme du Manifeste. Tout d'abord, l'avènement du capitalisme industriel avait sonné le glas de l'ancien pacte colonial qui avait si puissamment contribué à l'éclosion du capitalisme pendant les deux siècles précédents. Par un retour des .choses, le développement même du capitalisme devait avoir pour effet de ruiner le monopole des métropoles, qui devenait une entrave de plus en plus gênante à toute l'expansion économique. Aussi bien le Nouveau Monde s'était émancipé, l'Amérique du Nord, de l'Angleterre, l'Amérique centrale et du Sud, de l'Espagne et du Portugal. Ces deux dernières puissances, mondiales autrefois, ne jouaient plus aucun rôle et leur déclin coïncidait avec celui des grands empires qui se partageaient l'Asie. Jusqu'alors ce continent, dont les frontières avaient été portées par les Turcs jusqu'aux portes de Vienne, tenait encore dans le monde une place beaucoup plus importante que l'Europe. Au XVIIe siècle, les Etats les plus puissants du monde sont, sans conteste, les empires asiatiques. Le plus vaste est l'Empire chinois dont la population, passe de 70 millions en 1660 à plus de 140 millions en 1850. La Chine, l'Inde des Grands Mogols, la Perse savéfide possèdent une puissance économique égale, sinon supérieure, à celle des Etats européens ; leurs armées dominent des territoires immenses, immensément peuplés et immensément riches, tandis qu'en Occident, l'Empire ottoman, étendu sur le sud-est de l'Europe, sur l'Asie occidentale et sur toute l'Afrique du Nord, tient sous son entière domination la mer Noire, la Méditerranée orientale et la mer Rouge, c'est-à-dire les grandes routes commerciales vers l'Asie centrale et l'Inde. Au XVIIIe siècle, on. assiste à un renversement de la tendance. Une série de défaites retentissantes mit fin à la puissance ottomane en Europe. En même temps, les invasions des Afghans et des Turcomans, les razzias insensées de Nadir Chah • et l'anarchie qui suivit sa mort (1747) avaient ruiné l'Empire perse. A l'époque du Manifeste, ces empires autrefois florissants n'étaient plus que l'ombre d'eux-mêmes, et c'est dans leur incapacité <}'européaniser leur système militaire qu'Engels a vu le signe le plus évident de leur irrémédiable décadence. En Perse et en Turquie, écrivait-il lors de la guerre anglo-• persane de 1856-57, · le système d'organisation militaire européen a été greffé sur la barbarie asiatique (sic)... Des officiers

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