MARX ET LA POLITIQUE INTERNATIONALE par Kostas Papaioannou II Marx et le monde des puissances AL'ÉPOQUE où Marx et Engels écrivaient dans le Manifeste la nécrologie pour ainsi dire dithyrambique de la bourgo1s1e, le capitalisme industriel n'était encore qu'à ses débuts. Les « miracles » que glorifient les Manuscrits de 1844 se réduisaient aux machines à vapeur primitives, aux filatures de Manchester, aux chemins de fer que la mythologie populaire tenait encore pour des instruments d'une magie quelque peu diabolique : si le personnage de Dostoïevski interprétait l'étoile Absinthe de l'Apocalypse comme un symbole du réseau des chemins de fer européens, le Saint-Père, lui, avait interdit en 1851 la construction d'une ligne de chemin de fer dans ses Etats de la Romagne parce que, disait-il, « les chemins de fer engendrent le commerce, et le commerce le péché » ... En fait, l'Angleterre était vraiment l'unique « manufacture du monde », le seul pays où le capitalisme englobait la quasi-totalité de l'économie et de la population. Encore faut.JI ajouter que la classe ouvrière anglaise (pour ne rien dire du mouvement ouvrier qui perdit justement tout caractère révolutionnaire après 1848 ...) en était seulement à sa préhistoire : d'après les statistiques que cite Marx dans son Histoire des doctrines économiques (W, II, 66 ), en 1861 le nombre total des personnes occupées dans les fabriques proprement dites du Royaume-Uni était de 775.534 unités (personnel administratif y compris) alors que le personnel domestique féminin représentait, pour l'Angleterre seule, un million d'individus. En revanche, les Etats-Unis, « continent du travail par excellence », d'après Marx 1, se trouvaient 1. Dl,cour! ,ur le Congrê! de La Haye, 1872, W, XVIII, 161. Biblioteca Gino Bianco encore au stade du défrichement et leur population demeurait essentiellement agricole. Dans la première édition du Capital ( 1867), ils font figure de « colonie de l'Europe », et dans une not~ de la quatrième édition du même Capital ( 1890) Engels se croyait autorisé à ajouter que, « bien qu'ils fussent devenus le deuxième pays industriel du monde, les Etats-Unis n'ont pas perdu tout à fait leur caractère colonial 2 ». En fait, leur balance des paiements restait débitrice jusqu'à la première guerre mondiale et ce n'est qu'en 1920 que la population des villes dépassa pour la première fois celle des campagnes. De même, à l'époque où le Manifeste glorifiait la bourgeoisie d'avoir « créé des cités immenses et sauvé une partie croissante de la population du crétinisme de la vie aux champs », les paysans continuaient à représenter la grande majorité de la population dans les quelques pays « en voie de développement » de l'Europe occidentale où la bourgeoisie avait réussi à sortir de la gangue de l'ancien régime. Le capitalisme était loin d'avoir commencé à réaliser l' « œuvre révolutionnaire » que les auteurs du Man if este croyaient achevée. Comme dira Engels un demi-siècle plus tard, « l'histoire nous a donné tort à nous et à tous ceux qui pensaient de façon analogue. Elle a montré clairement que l'état du développement économique sur le continent était bien loin encore d'être mûr pour la suppression de la production capitaliste ; elle l'a prouvé par la révolution économique qui depuis 1848 a gagné tout le continent et qui n'a véritabletnent donné droit de cité qu'à ce moment [ 1895] à :-~ 2. K, 1, 475; 11, 133.
RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==