Le Contrat Social - anno XI - n. 3 - mag.-giu. 1967

B. SOUVARINE tirent qu'à condition que Natalie l'accompagne et la chaperonne. En 1919, toutes deux emménagèrent au Kremlin. Nadièjda travaillait au service du courrier chez Lénine, s'initiant inévitablement aux intrigues du Parti (déjà les relations s'altéraient entre Trotski et Staline). Un jour, elle fut envoyée comme messagère à Tsaritsyne où Staline, commissaire politique, lui fit bientôt des avances. De retour à Moscou, il la courtisa assidûment et, en 1920, arriva à ses fins. Cela eut lieu chez Abel Enoukidzé au cours d'une nuit de bombance où le vin de Kakhétie apporté du Caucase par Lominadzé avait coulé en abondance. Selon la narratrice, le couple ne vécut pas en harmonie, les conjoints étant très dissemblables d'âge et de goûts, Staline exclusivement absorbé dans la politique, Nadièjda tournée vers les arts ; elle se sentait prisonnière au Kremlin et ne fut pas heureuse. Un temps, elle collabora à la revue Révolution et Culture. Pour échapper à l'atmosphère étouffante du Kremlin, elle entra à l'Académie industrielle, se montra bonne étudiante, mais ne put passer les examens. En 1927, défiant Staline, elle aurait signé la « déclaration des 121 » ( texte de l'opposition) ainsi que N. Kroupskaïa et Marie Oulianova (la femme et la sœur de Lénine), suscitant une violente querelle domestique. Staline s'emporta, tempêta, menaça, et intimida les trois femmes qui retirèrent leurs signatures. Les rapports de Nadièjda avec sa brute de mari n'en devinrent évidemment pas meilleurs. Le froid s'accentua entre eux et les courtisans s'évertuèrent à chercher pour Staline une diversion féminine. Enoukidzé crut réussir en introduisant au Kremlin une gracieuse komsomolka, Zoïa Nikitina, qui, paraît-il, méditait (à l'insu d'Enoukidzé) de tuer Staline. Cet épisode imprévu coûta la vie à des centaines de jeunes communistes. (Par nécessité d'abréger, on simplifie nécessairement ici le récit d'Elisabeth Lermolo, c'est-à-dire de Natalie Trouchina.) D'autre part, une autre jolie fille entrait en scène au Kremlin, sous les traits de Rosa Kaganovitch, sœur du sinistre Lazare Kaganovitch chez qui Staline se mit à faire de fréquentes visites à la Pinède argentée (Serebriany bor, localité résidentielle aux environs de Moscou). Nadièjda s'en affectait en silence, ne demandant à son mari qu'un minimum de discrétion pour n'être pas bafouée en public. Telle était la situation en 1932, lors du quinzième anniversaire de la révolution soviétique. Le deuxième jour de la commémoration, les Vorochilov donnèrent dans leur appartement du Kremlin un iblioteca Gino Bianco 137 grand dîner auquel prirent part les principaux dirigeants avec leurs épouses, donc Staline et Nadièjda aussi, y compris les Kaganovitch avec Rosa, la favorite. Natalie Trouchina ne sait pas comment les choses se sont passées au festin des Vorochilov. Mais à 1 heure du matin, dit-elle, la sonnette retentit chez Staline (où elle gardait les enfants) et elle s'empressa d'ouvrir. C'était Nadièjda, très troublée, avec Vorochilov qui avait l'air embarrassé. Nadièjda lui souhaita bonne nuit, il prit congé. Elle était en proie à une violente émotion, dit qu'elle n'en pouvait plus, et eut une crise de nerfs. De ses paroles entrecoupées, retenons seulement : « Ma seule perspective est la mort. Je serai empoisonnée ou tuée dans un accident préarrangé. Où puis-je aller ? Que puis-je faire ? » Natalie essaya de la calmer, mais peu après Nadièjda s'évanouit dans la salle de bains. Natalie inquiète eut alors la malencontreuse idée d'appeler Staline chez Vorochilov, et il vint effaré, très excité. Une âpre querelle éclata entre les époux, elle lui reprochant amèrement de la blesser, de l'humilier en public, et lui, répondant par une tirade, l'accusant d'avoir perdu toute ardeur révolutionnaire, de s'être transformée en petite bourgeoise indigne de rester la compagne du chef de la révolution inondiale. Après de péjoratives allusions à Rosa Kaganovitch, elle ne craignit pas de le déprécier comme « chef » et comme révolutionnaire, de le traiter d'usurpateur, de maudire les « purges » sanglantes, les « liquidations » sommaires... Alors Staline se rua sur elle. Natalie entendit un coup, une chute, un râle. Elle ouvrit la porte, vit Staline cogner sauvagement sur sa femme en proférant des injures grossières. Nadièjda criait. Staline partit en coup de vent. Nadièjda gisait sur le sol, sans plus respirer, une large plaie à la tempe. Sur le carreau, un revolver ensanglanté. Staline avait frappé avec la crosse de son arme. Natalie porta Nadièjda sur son lit : le cœur avait cessé de battre. Elle se hâta vers le téléphone pour appeler un médecin. A ce moment parut Poskrebychev 2 qui lui interdit de téléphoner. Il 2. A. N. Poskrebychev (1891-1964 ou 65), d'abord membre, puis chef du secrétariat particulier de Staline. exécuteur des basses œuvres de son mattre, homme à tout faire, surtout les pires besognes restées pour la plupart occultes, mais dont certaines ont été révélées par la suite, notamment au sujet du suicide volontaire-obligotoire de Sergo OrdJonikidzé. Membre du Comité central du Pnrti nommé au XIX• Congrès en 1952. Deux fois décoré do l'ordre de Lénine pour sa participation nux crimes de Staline et pour ses activités Inavouables dans ln police secrète. •Elu•• c'est-à-dire nommé par ordre supérieur. nu so,riet de Moscou en février 1953. Disparu de ln clrculn1ion après la mort:dc Staltne et décédé en 1964 ou 65, date imprécise.

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