136 étaient auparavant étrangères. Jusqu'à preuve du contraire, donc, la bonne foi du martyr (au sens originel du terme grec : témoin) n'est guère contestable, en attendant que d'autres matériaux historiques voient le jour. * * * ELISABETHLERMOLOe,n prison à Léningrad, se trouva co-détenue avec la sœur de Nicolaïev, l'assassin de Kirov. Cette femme, communiste endurcie, mariée au tchékiste Rogatchev, lui raconta son affaire. Après la mort mystérieuse de Nadièjda Allilouieva, le père de celle-ci, le vieux bolchévik Serge Allilouiev, très éprouvé, chercha à percer le secret et demanda à son ami Rogatchev de l'y aider. Ils apprirent qu'une jeune fille prénommée· Natalie, placée auprès d'Allilouieva pour lui tenir compagnie et la servir, avait disparu, expédiée au monastère de Souzdal. Rogatchev tenta de la joindre mais, en route, il fut rappelé à Moscou, transféré à Léningrad où, en 1934, il reçut l'ordre étrange de préparer le meurtre d'un membre du Politburo ; s'il tentait de s'y soustraire, il serait enterré vivant dans « l'isolateur sans nom » pour avoir essayé d'élucider les circonstances de la mort d' Allilouieva. Pris dans cette alternative, Rogatchev préféra le suicide. Cette Katia Rogatcheva avait beaucoup à raconter, tant sur l'assassinat de Kirov que sur les événements où elle fut mêlée ou spectatrice. A l'isolateur de Tchéliabinsk, en Sibérie, questionnée de nouveau par ses compagnes d'infortune sur la mort d'Allilouieva, elle parla des absurdités colportées à ce sujet dans les rangs du Parti et révéla qu'une directive d'en haut avait prescrit de « dénoncer au N.K.V.D. les gens qui persistaient à poser des questions sur la mort d'Allilouieva ». Il s'ensuivit des centaines de lettres anonymes envoyées au Comité régional du Parti, assailli d'interrogations indiscrètes : « Quel sombre secret gardez-vous ?... Qui a tué Allilouieva ? ... Avez-vous peur de dire la vérité ? » Une autre .prisonnière, Iadviga Bogoutskaïa, communiste de longue date, parla des bruits qui circulaient sur la fin d'Allilouieva à Elisabeth Lermolo qui remarqua : « Ce qui m'étonne, c'est que le N.K.V.D. soit encore intéressé par ces rumeurs. Depuis mon arrestation, j'ai dû être interrogée au moins une douzaine de fois à propos d'Allilouieva. » Bogoutskaïa répondit : « Ils m'ont questionnée aussi à son sujet », ajoutant : « Peut-être qu'il n'y a pas de fumée sans feu. >) _ BjbHotecaGino Biarico .... LE CONTRAT SOCIAL Ramenée ultérieurement à Léningrad et soumise à de nouveaux interrogatoires, Elisabeth Lermolo subit le chantage infâme d'un tchékiste qui lui dit : « Vous devez avoir entendu des histoires fantastiques sur la mort d'Allilouieva, sur la mort de la femme de· Boudionny. N'est-ce pas ? » Dénégations de la malheureuse inculpée, à · qui Katia Rogatcheva, également transférée dans la même prison, dira bientôt que le tchékiste en question l'accusait aussi de « répandre des mensonges sur la mort d 'Allilouieva ». Il apparaissait décidément que la tragédie intime du Kremlin devenait une véritable obsession des tchékistes acharnés, par ordre supérieur, à trouver des gens coupables de divulguer des on-dit, des rumeurs, des suppositions de toutes sortes. Tant et si bien que tout , le monde en jasait dans le Parti, et surtout parmi les pitoyables hôtes des bagnes et des isolateurs. Dans le wagon-prison qui l' emportait de nouveau vers une destination inconnue, Elisabeth Lermolo fit connaissance avec une certaine Sophia Nikitina qui émit une hypothèse -: « Nous allons probablement à l'isolateur de Souzdal. J'y étais, il y a quelques mois... C'est le lieu de détention des gens ayant eu des liens quelconques avec le Kremlin. Longtemps la servante d'Allilouieva a été enfermée - là. » A Souzdal, en effet, au bout de quelque temps, Elisabeth Lermolo atteinte de dysenterie est mise en cellule « sanitaire » qu'elle partage avec une autre malade nommée Natalie Trouchina. Les deux femmes sympathisent, · échangent des confidences, et voici ce que la narratrice va apprendre et nous apprendre. * * * NATALIETROUCHINAfi,lle unique d'un petit fonctionnaire à Pétrograd, devint orphe~ · line alors qu'elle faisait ses études unjversitaires. Recueillie par une famille voisine, précisément celle des Allilouiev 1 , elle s'y occupa du ménage et, quand la plus jeune des filles Allilouiev, Nadièjda, employée au secrétariat de Lénine, dut partir en 1918 pour Moscou où _allait se fixer le gouvernement, les parents, décidés à ne pas quitter Pétrograd, n'y consen- , 1. Sergueï Iakovlevitch Allilouiev (1866-1945), ouvrier social-démocrate, membre du parti depuis 1896, militant actif à Tiflis, puis à Saint-Pétersbourg. Rallié à la tendance bolchéviste du parti. En 1917, c'est chez lui que Lénine se cacha, après la tentative d'insurrection avortée en juillet. Homme de confiance du Parti par excellence, son sort ne fut pas enviable après la mort de sa fille Nadièjda, épouse de Staline. Un petit livre de lui, Le Chemin parcoutu, parut en 1946, dftment expurgé par la censure, et disparut bientôt de la circulation. Il a été réédité après la mort de Staline, en 1956, mais ne contient rien de révélateur sur son gendre.
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