Le Contrat Social - anno XI - n. 3 - mag.-giu. 1967

188 l'espoir de chacun, et si l'ouvrier possède un métier, il préfère généralement la liberté de l'artisan à la servitude du salarié. C'est à cette liberté autant qu'à son repos qu'aspire le salarié lorsqu'il réclame moins d'heures de travail et davantage de bien-être. Ce n'est pas le syndicat, c'est le P.M.U. qui est la grande passion des ouvriers parisiens. Dans l'atelier de Georges Douart, ils sont tren- . ' . . ,, ' te-cinq sur quarante a Jouer au tierce et a en faire leur sujet quotidien de_ conversation, y compris entre communistes. Quant à ceux-ci, « comment discuter avec eux, ils attendent la sortie de l'Huma pour savoir quoi dire » (p. 242) ... La voiture et ses performances est le second sujet de conversation : les deux tiers du personnel sont motorisés, mais ne sortent leur voiture, objet d'orgueil et de soins, que le dimanche. Pour honorer leurs traites, ils travaillent le samedi, font de 55 à 60 heures par semaine. On voit de quelle fatigue se paye le niveau d'existence actuel de la classe ouvrière. A cette fatigue, due aussi aux cadences rapides, s'ajoute celle des transports : deux à quatre heures quotidiennes de bousculades dans le métro ou dans les trains de banlieue. La journée s'achève en somnolant devant le poste de télévision. Avec un tel rythme de vie, l'O.S. adulte peut-il devenir un professionnel, celui-ci un technicien ? L'auteur en doute : l'effort supplémentaire à fournir pendant des années dans des matières comme la technologie ou les mathématiqqes dépasse les moyens de ceux qui n'ont pu achever des études secondaires. Le besoin de culture lui-même s'émousse dans la passivité qu'imposent les mass media. Nous avons, en son temps, critiqué Serge Mallet qui voyait déjà la classe ouvrière s'absorbant dans celle des techniciens et cadres 2 • L'expérience de Georges Douart confi~me notre opinion : les effectifs ouvriers varient peu, mais leur poids spécifique dans la société reste considérable. « A mon avis, écrit-il, la classe ouvrière subsiste. Elle n'a plus la même existence, elle bénéficie d'une relative élévation de son niveau de vie, mais elle reste conditionnée par le manque d'instruction ; marquée par la fatigue, la voiture, la télé (p. 295). » On ne saurait mieux dire. Le coup de sonde donné par Georges Douart dans une classe que politiciens et idéologues s'évertuent les uns à mystifier, les autres à « mythifier », constitue, en dépit de quelques naïvetés, un témoignage introspectif qu'on ne ·peut passer sous silence. LE CONTRAT SOCIAL La classe ouvrière n'est plus ce qu'elle était il y a cent ans, quand Marx écrivait son .Capital; elle n'est plus extérieure au corps · social. Elle est devenue partie prenante dans l'actuelle société de consommation ; mais c'est, jusqu'à présent, au prix d'un essoufflement physique et mental consécutif à la course quotidienne aux gadgets qui définissent ou symbolisent le confort moderne. L'allongement de la journée de travail et son rythme accru en sont la pénible rançon ; ils ne permettent pas de dire que la classe ouvrière, dans son ensemble, .est pleinement intégrée à la société industrielle. Problème qui dépasse les conclusions un peu simplistes 3 de l'auteur et touche à la finalité de cette société, dont l'évolution matérielle décourage les prophéties millénaristes du passé. MICHELCOLLINET. Un document ....,.. N. I. BucHARIN: L'Economia mondiale e l'imperialismo. Rome 1966, Ed. Samonà e Savelli, 340 pp.· ÉCRIT EN 1915 et publié en Russie dès - 1917, cet ouvrage de Boukharine . vient de paraître en traduction italienne. Son édition française sortit en 1928, juste à temps, car peu après l'auteur tomba en disgrâce et Staline voua tous ses écrits àu pilon. Tant que Boukharine fut .chef de la Krassnaïa Professoura, la « théorie de l'impérialisme de Lénine-Boukharine » figura en bonne place dans tous les programmes économiques de l'enseignement secondaire et supérieur en U.R.S.S. Pour être juste, il faut dire que les théories de l'impérialisme , de Rosa Luxembourg et de Rudolf ·Hilferding y figuraient aussi, et même la proclamation du « léninisme » comme religion - officielle par le 5e Congrès de l'Internationale communiste en 1.924 n'y chap.gea rien. Ce n'est qu'après l'élimination de Boukharine que le nom de Staline remplaça le sien auprès de celui de Lénine et qu'il ne fut plus question des théories de R. Hilferding et de R. Luxembourg. , A la vérité, ce n'est pas « théorie de LénineBoukharine » qu'il eût fallu dire, mais « de ~ Boukharine-Lénine ». Le seul théoricien bolchéviste de l'im}?érialismeest en èffet Boukha2. Cf. Contrat social, mai-juin 1964. 3. • Voter à gauche et reJoindrE>les ·syndicats (p. 296) •·· Biblioteca Gino· Bianco -•; \ .

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