Le Contrat Social - anno XI - n. 3 - mag.-giu. 1967

134 lui a interdit, a fait emprisonner, puis expédier au bagne en Sibérie le malheureux, coupable d'être aimé par la fille de Staline. Motif : il était juif. On voit que le socialisme à la Staline n'est qu'une variante du socialisme à la Hitler ou « national-socialisme », ce que nous av9ns souvent démontré ici même. La deuxième fois, Svetlana a pu se marier sans que son père s'y , . . . oppose categor1quement, mais sur ce n:iar1age terminé par un divorce, les versions se contredisent et pour l'heure mieux vaut se taire de- . vant le mur de la ·vie privée. De même pour le second mariage et le second divorce. Le troisième mariage, qui n'en sera pas un légalement, regarde sous un certain aspect l'opinion publi~ que : Svetlana entend convoler avec un communiste hindou, mais le Parti refuse l'autorisation, il défend d'épouser un communiste étranger. Là encore l'infamie de ce régime nationalsocialiste sans Staline s'étale au grand jour. Un parti qui se dénomme encore communiste et se réclame du marxisme-léninisme interdit à une communiste de se marier avec un communiste. L'Occident pourri appelle cela un « nouvel humanisme » et prétend que tout a changé pour le mieux depuis la mort de Staline. Svetlana et son compagnon hindou, un nommé Brijesh Singh, sensiblement plus âgé qu'elle, vivent donc malgré eux en union libre. Ce communiste, fils de rajah, n'est pas précisément un prolétaire, et son idéalisme n'a Sans ·doute pas grand-chose de commun avec le stalinisme. Lui et Svetlana, elle enfin heureuse, travaillent dans un centre d'éditions communistes où s'emploie leur excellente connaissance de la langue anglaise. Mais en 1966, Singh tombe gravement malade et, le Parti lui ayant refusé la permission de retourner dans son village, toujours en vertu du « nouvel humanisme », Singh trépasse à Moscou en octobre. Il importe alors que les cendres de ce communiste, de ce « marxiste », soient jetées conformément au rite dans les eaux sacrées du Gange, nonobstant le matérialisme historique. Les autorités soviétiques ne vont pas s'aliéner le parti communiste de l'Inde en s'opposant au transfert des cendres : Svetlana est autorisée à porter l'urne funéraire à la famille Singh qui habite Kalakandar, village situé au bord du Gange. Ni les autorités, ni Svetl~na, n'envisagent l'imprévisible. Or j à Kalakandar, il arrive ce que nul- n'a prévu : Svetlana respire. Dans ce lieu agreste et paisible, parmi des gens simples et doux, des paysans, des artisans, loin du Parti, de ses congrès, de ses thèses, de ses déclarations, de sa logomachie, de ses mots d'ordre, de sa· discipline, de ·sès cruelles sottises, Svetlana respire. Elle respire comme elle n'aBfblioteca Gino Bianco . . LE CONTRAT SOCIAL vait pas respiré depuis son âge de raison. Et une nécessité se fait sentir en elle, une résolution instinctive s'impose à elle, impérative : ne plus rentrer, rester pour toujours dans ce village de l'Inde. Elle ne peut pas croire qu'elle ne reverra plus son fils et sa fille. Elle a une vocation, elle veut s'exprimer, elle veut écrire. Déjà son autobiographie, rédigée en cachette, a passé la frontière. Elle fait part de son intention à ses proches qui l'hébergent, la noble famille du défunt, très accointée avec le gouvernement de Delhi (un Singh est même ·ministre). Stupeur et écœurement : les dirigeants hindous lui conseillent de rentrer en Russie, font pression sur elle. L'Orient pourri ne veut pas déplaire aux nazis soviétiques et n'accorde pas l'hospitalité à une fugitive innocente. On saura désormais ce que vaut Mme Gandhi, ce que valent son parti, sa politique, son éthique. D'autre part, les mouchards et les sbires de !'U.R.S.S. qui opèrent en Inde et ailleurs comme en pays conquis tracassent et harcèlent Svetlana pour qu'elle réintègre d'urgence la « prison des peuples ». Elle est contrainte de loger •à Delhi dans un hôtel soviético-policier. Le 6 mars, à la faveur de circonstances fortuites, elle suit son inspiration et prend un ta~ pour .se rendre à l'ambassade des Etats-Unis où elle demande protection et un visa pour l'Amérique. Sa démarche, dit le. New York Times du 11 mars, « cause une consternation considérable au State Department et à la Maison-Blanche ». Tout de même, le bon sens et un reste de morale finissent par prévaloir, Svetlana obtient la possibilité de partir pour Rome, de là pour la Suisse. Au XIXe siècle Herzen et Bakounine, au début du xxe siècle Plékhanov et Lénine, ainsi que des centaines d'autres révolutionnaires, trouvaient normalement refuge en Occident sans que cela posât aux hommes d'Etat d'an- .goissant.s· problèmes. Le « progrès » a tout changé : politiciens stupides, diplomates ignares et journalistes méprisables de l'Occident pourri rivalisent d'ineptie et de bassesse pour contester le droit d'asile afin de complaire au despotisme oriental. Il paraît que la présence de Svetlana aux Etats-Unis altérerait les relations entre les deux « grandes puissances », relations auparavant excellentes, les meilleures du monde. Mais contre vent d'est et marée noire, une faible femme au nom de h1mière a - éclairé l'impuissance des puissances et pris pied sur une terre relativement libre. Elle y mangera « le pain amer de l'exil », mais pourra témoigner sans haine et sans crainte. . B. Souv ARINE.

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