B. SCHWARZ dernières œuvres pour orchestre, jouées pour la première fois à Moscou au printemps de 1965, sont écrites dans une langue que l'on dit proche du modernisme occidental. La Symphonie pour orchestre de chambre de Kataïev utiliserait des matériaux du folklore de l'Azerbaïdjan élaborés à l'aide de techniques dodécaphoniques. La Deuxième Symphonie de Chtchédrine, achevée en 1965, utilise une forme nouvelle : vingt-cinq préludes d'orchestre distribués en cinq grandes parties. Les rapides changements de « cadres » musicaux ont ·rappelé à un critique les procédés du cinéma. Chtchédrine avait un grand thème à l'esprit : la paix et la guerre, la vie et la mort. Pour l'exprimer, il a utilisé des sonorités inhabituelles, obtenues par l'emploi de la dodécaphonie et de l' « aléatoire » (improvisations de la part de l'exécutant). Il apparaît que Kataïev et Chtchédrine ont tenté d'élargir plutôt que de bouleverser les formes musicales admises en U.R.S.S. ; cela n'en témoigne pas moins de l'évolution rapide de l'esthétique. Un éminent critique de Moscou, entre autres, fait les observations suivantes : En ce qui concerne la direction générale des recherches de nos jeunes compositeurs, je dirai qu'on fait montre à présent d'une plus grande tolérance envers les expériences dodécaphoniques, bien que, dans l'ensemble, cette école reste inacceptable. La « série tonale » est utilisée {quoique sans méthode stricte) dans quelques œuvres qui visent à exprimer une certaine tension nerveuse, une atmosphère expressionniste (...). On dispute pas mal à ce sujet, mais d'une manière « pacifique » ( ... ). Vous pouvez constater qu'il n'y a absolument aucun changement d'orientation dans notre point de vue concernant le dodécaphonisme 41 • L'avenir LE MÉCONTENTEMEqNuTi, après la mort de Staline, saisit l'intelligentsia créatrice et nombre d'amis des arts, provenait en partie du fait que le niveau approuvé officiellement était tombé au-dessous du goût et de la réceptivité du peuple. La société soviétique, plus riche et · par conséquent plus raffinée, avait franchi les limites assignées à l' « art pour les masses ». Khrouchtchev et ses conseillers sentirent le malaise : ils préconisèrent des « quêtes hardies », sans savoir au juste jusqu'où la hardiesse pouvait aller. Lorsque le courant libéral prit de la vitesse, les experts culturels furent chargés de J. 'endiguer ; en cela, ils furent aidés 47. Lettre privée de Moscou, 20 Juin 1965. Biblioteca Gino Bianco 185 par la hiérarchie officielle, retranchée dans les organisations qui étaient en faveur du statu quo. Finalement, Khrouchtchev lui-même, en qualité d'arbiter artium, trancha d'une manière qui indisposa tous les intellectuels communistes de l'Occident. Les dirigeants d'aujourd'hui, plus prudents et plus impersonnels, doivent choisir : ou bien mettre le réalisme socialiste au rebut, ou bien le réinterpréter. En tant que dogme, il est périmé, discrédité; son application, à la musique en particulier, a été, dès le début, absurde. Les pays communistes culturellement les plus avancés - Pologne, Tchécoslovaquie et Hongrie - l'ont déjà abandonné ou sont en train de le faire. La « politique restrictive dans les arts » a été critiquée, notamment par des Soviétiques, lors d'un colloque littéraire récemment tenu à Berlin-Est, et un marxiste est-allemand, Robert Havemann, a eu le courage de prôner la « coexistence idéologique » en conseillant au Parti de ne pas s'immiscer dans les affaires esthétiques. Ainsi, le temps est peut-être proche où le réalisme socialiste deviendra le symbole d'un art « provincial et étroit ». Si les dirigeants décidaient la survie du réalisme socialiste, le terme aurait besoin d'être entièrement redéfini. Il faudrait l'assouplir afin de lui permettre d'embrasser une plus grande variété de styles, de méthodes de création. En fait, ce processus est déjà en cours. Quand les stigmates de la « décadence bourgeoise » auront été effacés de l'avant-gardisme chargé de tous les péchés, un grand pas aura été fait. Mais cela n'aura de sens que si, en même temps, on joue effectivement ces pionniers du xxc siècle que sont Schœnberg, Alban Berg, Webern, dont les œuvres sont encore pratiquement bannies. Une campagne d'éducation visant tant les exécutants que les auditeurs sera alors nécessaire. Les jeunes compositeurs d'avant-garde ont un rôle in1portant à jouer dans ce processus d'adaptation : il leur incombera de prouver qu'ils peuvent assimiler la langue musicale nouvelle sans pour autant perdre leur identité personnelle et nationale. Après qu'aura soufflé l'esprit de révolution créatrice, une fois abolis les slogans éculés et la tutelle abusive de Ja vieille garde, la musique russe pourra connaître un nouv~ épanouissement. BORIS SCHWARZ. (Traduit de l'anglais)
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