Le Contrat Social - anno XI - n. 3 - mag.-giu. 1967

184 dant, son jugement final était positif : le jazz soviétique est en train de progresser 42 • Notons que des compositeurs « sérieux » tels que A. Echpaï, A. Babajanian, D. Gordeli écrivent pour le jazz ; Chostakovitch lui-même avait composé deux suites pour jazz dès les années 30. Plus importantes pour l'évolution de la musique soviétique sont les expériences poussées de dodécaphonie. Cette technique n'est pas « nouvelle » : en fait, ses débuts remontent à 1910. Développée par l'école de Vienne d'Arnold Schœnberg et son disciple Anton Webern, la musique sérielle est maintenant de pratique courante. en Occident. La Russie, isolée depuis le début des années 30, est restée à l'écart de ce phénomène. ·Dès 1934, Prokofiev prédisait que « le danger de devenir provincial était très réel pour les compositeurs soviétiques » 43 • Le danger devint réalité après les attaques staliniennes de 1936 et 1948. Ces immixtions barbares dans le processus de création causèrent des dommages incalculables « sous la forme d'individualités faussées, de talent gaspillé et de génie frustré » 44 • Une « génération perdue » de compositeurs, exécutants et auditeurs, dont les années de formation se situent approximativement de 1936 à 1956, a du m~l à acclimater -son goût au style moderne. . 1 Les jeunes compositeurs s'efforcent bien de combler le fossé à la hâte, mais cela ne peut être fait du jour au lendemain. Leurs expériences dans le domaine de la musique sérielle illustrent combien il est difficile d'assimiler un langage qui manque de racines indigènes. A l'époque de la visite de Stravinsky (septembreoctobre. 1962), il existait déjà un petit noyau de jeunes compositeurs qui, à l'encontre des préceptes officiels et pratiquement· « dans la clandestinité », travaillaient dans ce sens~ principalement à Léningrad, Moscou, Kiev et Tallinn. Certaines de leurs œuvres furent envoyées à l'étranger avec prière, au cas où elles seraient jouées, de conserver l'anonymat à l'auteur. A· titre d'exemple, citons une Suite pour piano jouée à New York le 13 mars 1964, lors d'un concert de la Société internationale de musique contemporaine 45 • 42. • Le jazz au tournant•• in Nediélia (supplément hebdomadaire des l%vestia), 16-22 mai 1965. 43. Prokofiev : Autobiography ... , p. 99. 44. R. Craft : op. cit., p. 46. 45. Cf. compte rendu par Eric Salzman, • Smuggled Avant-Garde-Music in the Soviet Bars•• in New York Herald Tribune, 14 mars 1964. Biblioteca Gino Bianco L'EXPÉRIENCE COMMUNISTE Le plus connu des jeunes « rebelles » est André Volkonski. Né en 1933 à Genève, de parents émigrés, il étudia au conservatoire ~e Paris de 1944 à 1947. Quelques années plus tard, il s'inscrivit au conservatoire de Moscou - au cours de composition de Chaporine, lequel, malgré ses propres goûts conservateurs, rem~rqua les dons de son élève. Chassé du conservatoire pour « infraction âu règlement », Volkonski publia un Quintett~ pour piano, dédié à ,, son vieux maître, ouvrage qui souleva une , vive controverse dans la Musique soviétique ( 19 5 6), en raison de son « modernisme ». Dans ses _compositions ultérieures, Volkonski manifesta un intérêt croissant pour la musique· sérielle, si bien que son ·~alent fut qualifié de « fourvoyé » par Ilitchev; Chtchédrine et consorts. Pendant cinq ans, il ne fut pas joué en ,r. Union soviétique. Une récente premiè~e audition à Léningrad marqua sa rentrée. A propos de cette Complainte de Chtchaza, pour soprano, violon, alto, cor anglais, xylophone, vibra- ' phone et clavecin, un critique occidental écrivit : Volkonski a écrit cette œuvre sensible et expressive en 1962. On reconnaît l'influence dominante de Webern sur son évolution, mais on peut également noter qu'il a assimilé des influences post-weberniennes pour créer un style riche et émouvant qui soit de son cru 46 • De manière significative, la baguette avait été confiée à un jeune chef d'orchestre adjoint de la Philarmonique de Léningrad, Igor Blaj- . kov, qui, en 1963, avait ét~ vivement critiqué e1:1raison de son intérêt pour le dodécaphonisme. Tout cela témoigne du relâchement des restrictions idéologiques et Volkonski est rejoint par les Boris Tichtchenko, Serge Sloninski, Arvo Pyart, Arno Babajanian, pour n'en citer que quelques-uns, qui usent avec hardiesse des nouvelles techniques. La musique sérielle a -- même fait des « convertis » parmi des compositeurs tenus jusque-là pour traditionnels. Kara Kataïev (né en 1918 en Azerbaïdjan) ~t Rodion Chtchédrine (né en 1932 à Moscou) comptent parmi les jeunes les plus doués, mais jusqu'à présent leur style musical est une sorte de natiQnalisme coloré. (En 1964, Karaïev et . Chtchédrine ont visité les Etats-Unis au titre du programme d'échanges culturels.). Leurs 46. Paul Moor : • Russia, Music for May Day •, in High Fidelity Musical America (New York), Juillet 1965. Cf. également, du même auteur, • The Russian Winter •, ibid., mars 1965. .

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