B. SCHWARZ avaient été taxés d'opportunisme politique e1 d'ignorànce musicale. Dans un article intitulé : « Attitude de guerre froide », 1. Nestiev dénonçait les grands critiques d'Angleterre, de France, d'Allemagne et des Etats-Unis comme des politiciens du « rideau de fer », parce qu'ils avaient honnêtement exprimé leur opinion sur l'état de la musique soviétique 38 • Les efforts de Khrennikov pour imposer un nouveau « grand nettoyage » demeurèrent en grande partie stériles. En 1964, il devint évident que les dirigeants du Parti, mus par des considérations politiques, étaient disposés à faire des concessions à l'intelligentsia pour s'assurer son appui. Lors de réunions tenues les 15 et 16 mai de cette année-là, Ilitchev promit, pour reprendre les termes du New York Times, d' « être plus libéral envers les arts et la littérature en échange d'une aide ( ... ) dans la lutte idéologique avec les Chinois » 39 • Des groupes de jeunes réclamèrent davantage de musique légère et de jazz et Chostakovitch vint à la rescousse. La position de Kkrenni- _kov sur cette question était très critiquée et la Komsomolskaïa Pravda alla jusqu'à la dénoncer vertement 40 • La retraite forcée de Khrouchtchev en octobre 1964 ne provoqua aucun changement immédiat dans la « ligne » culturelle. Il semble bien qu'il y ait eu alors, dans les hautes sphères du Parti, de sérieux désaccords sur la conduite à te~ir à l'égard des artistes et des intellectuels. Le 21 février 1965 fut publié un document, fort attendu, concernant la politique culturelle des nouveaux dirigeants. Son titre était « Le Parti et l'intelligentsia » ; son auteur, le nouveau rédacteur en chef de la Pravda, Alexis Roumiantsev (remplacé depuis par Mikhaïl Zimianine). Roumiantsev s'en prenait à l' « anti-intellectualisme de la période de Khrouchtchev » et proposait un nouveau critère pour juger des arts : « le développement entièrement libre de la personnalité de chaque membre de la société », car le progrès exige « l'existence de différentes écoles et tendances, différents styles et genres en compétition les uns avec les autres ». Tout en apportant des correctifs à la pleine liberté du choix en réaffirmant le principe du réalisme socialiste, Roumiantsev garantissait que l'applica38. Neallcv, ln la J\1wilque .11oviétique, 1963, n° 10, pp. 125-30. 39. New York Timea, 24 moi 1964. 40. Kom11omoükala Pravda, 4 Juin 1964, cité ln New York Timea, 5 Juin. BibliotecaGino Bianco 183 tion de ce principe ne devait pas être dictée par des jugements esthétiques personnels aux fonctionnaires du Parti intéressés, non plus que par un « dirigeant unique, sûr de sa façon de voir » (ce qui pouvait s'appliquer à Staline aussi bien qu'à Khrouchtchev). Dans l'ensemble, tout cela révélait un important changement d'attitude 41 • Les événements se précipitèrent. Le 23 .mars, Ilitchev fut muté au ministère des Affaires étrangères. Peu après, la commission idéologique du Comité central du Parti, formée sous Khrouchtchev, fut dissoute. Le 24 mai, le correspondant à Moscou du New York Times câblait une dépêche sensationnelle : « Le monde musical a été ici mis en émoi par l'approbation officielle donnée à deux formes musicales dénoncées par N. S. Khrouchtchev : la musique dodécaphonique et le jazz. » Cette interprétation, fondée sur des articles parus dans la Pravda et les Izvestia, semble cependant avoir été par trop optimiste. . Il aurait été plus juste de parler d'une plus grande tolérance envers les nouvelles techniques musicales et non pas d'un renversement de la vapeur. Courants actuels LA POSITION PRUDENTE de la nouvelle équipe dirigeante et la suppression de l'odieuse commission idéologique ont libéré des énergies créatrices bridées pendant des années. Quels développements peut-on désormais prévoir? On essaie à présent de créer un « nouveau style de jazz soviétique ». Contrairement à l'opinion courante, le jazz n'a jamais été « banni » en U.R.S.S. (on a connu des orchestres de jazz russes réputés en 1930) ; les objections allaient au jazz à la mode américaine. Dans un article de mai 1965 intitulé « Le jazz à la croisée des chemins », un certain A. Medviédiev reconnaissait que le jazz était venu « de l'Occident », sans toutefois mentionner son origine négro-américaine. Rendant compte d'un concours qui venait de se dérouler pendant trois jours à Léningrad, il remarquait que la majorité des exécutants étaient des amateurs, ce qui conférait au jazz soviétique un caractère de passe-temps récréatif. Il n'est pas étonnant qu'il ait trouvé dans l'interprétation « du dilettantisme et du mauvais goût, de pâles imitations des modes de jazz ». Cepen41. Pravda, 21 fév. 1965.
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