Le Contrat Social - anno XI - n. 3 - mag.-giu. 1967

182 cependant, par une dépêche en provenance de Moscou, que la symphonie avait été de nouveau jouée en public, en présence de Chostakovitch et Evtouchenko. - N.d.l.R.) Le malaise culturel persista jusqu'à ce que Khrouchtchev prononce le mot de la fin. Le 8 mars 1963, il fit un grand discours devant le présidium du Comité central et les intellectuels : il semblait signifier la fin de toute « libéralisation » dans les arts. Il parla peu de la musique, mais ·ce fut sans ménagement : « Nous sommes pour une musique mélodieuse avec un contenu ( ...), · nous sommes contre la cacophonie. » Khrouchtchev affirma qu'il n'avait aucunement l'intention de faire de son goût personnel « une espèce de standard p~ur tout un chacun ». « Mais nous ne pouvons nous plier aux caprices de ceux qui essayent de faire prendre des sons cacophoniques pour de la véritable musique. » Il décrivit la dodéc'aphonie comme « · 1a musique des bruits », ajoutant : « Selon toute apparence, cela signifie la même chose que le mot " cacophonie " (...). Les nôtres ne peuvent faire de ces bêtises un outil de leur idéologie. » Le jazz, lui aussi, lui donnait la « nausée » 81 • Si Khrouchtchev attendait de son homélie une soumission massive, il en fut pour ses frais. Les intellectuels se montrèrent récalcitrants et certains dirigeants communistes étrangers, tel Togliatti, vinrent à leur secours. Après un plénum de quatre jours tenu en juin 1963, il apparut que la campagne d'intimidation avait fait long feu : aucune nouvelle mesure de contrainte culturelle ne fut appli- , quee. Cependant, après un été de calme relatif, Khrennikov - toujours « patron » de la musique - décida de raviver la controverse à la réunion plénière des compositeurs les 17 et 18 octobre 1963. Sa véhémence incita un observateur à conclure que, dans le domaine musical; « les · blâmes à l'égard des gens tournés vers l'Occident reprennent de plus belle-'» 32 • Une fois de plus, Khrennikov lança de terribles avertissements aux adeptes potentiels de l' « avant-gardisme », en particulier à ceux qui -montraient un « intérêt accru pour les tours de passe-passe dodécaphoniques » 33 • 31. Le discours de i5.000 mots de Khrouchtchev est reproduit en anglais, avec commentaires, par Encounter (Londres), brochure n° 9, 1963. Les citations se trouvent pp; 29-30. - - _ , . 32. New York Times," 14 nov. 1963. Biblioteca Gino Bianco L'EXPÉRIENCE COMMUNISTE Les ·soucis des dirigeants de l'Union des compositeurs étaient, de leur point de vue, parfaitement justifiés. Khrennikov dut admettre que « des influences ~'avant-garde se sont faufilées dans certains pays socialistes, et s'y sont même largement répandues » 34 • C~était une allusion à la Pologne, où les compositeurs jouissaient d'une liberté complète, prouvant ainsi que communisme et modernisme ne sont nullement incompatibles. Le festival d'automne de Varsovie était devenu une forteresse de l'avant-garde : les Soviétiques qui y participaient s'y trouvaient tout à fait déplacés, sauf un jeune rebelle, André Volkonski, qui avait été fêté à Varsovie alors qu'il était frappé d'anathème dans son propre pays. Cela n'avait fait que souligner l'isolement croissant de la musique soviétique sur le plan international. Certes, Chostakovitch, Kabalevski_et Khatc_hatourian avaient acquis une certaine réputation en Occident, mais leurs dernières œuvres s'étaient heurtées à une critique grandissante; la rétrospective de l'œuvre de Chostakovitch aq. festival d'Edimbourg de 1962. avait été, au mieux, un succès mitigé. En outre, ces compositeurs avaient atteint la ·,oixantaine alors que la jeune génération était pratiquement inconnue à l'étranger. Grâce aux échanges culturels, de nouvelles œuvres soviétiques ont été présentées en Occident, mais les réactions ont prouvé que le réalisme socialiste en musique voyage mal. Après sa visite en 1963, le critique Colin Mason estima que « daris toute l'Union soviétique, depuis 1930, n'est pas apparu un seul compositeur intéressant » 35 • Il conseilla aux 1nusiciens de « oasser du réalisme socialiste aux réalités artistiques (...). La musique n'est pas faite d'idées, mais de notes 36 • » Egalement négatif fut Robert Craft et, semble-t-il, Stravinsky 37 • Ces réserves formulées par des Occidentaux avaient été reçues en U.R.S.S. avec beaucoup d'humeur, car elles étaient en contradiction avec les rapports triomphants rép~ndus par les compositeurs soviétiques retour de l'étranger. Ceux _qui, au-delà des frontières, doutaient de la sagesse de Moscou en matière culturelle, , , 33. • U~SR Union of Composers •• in lnformati!)n Bulletin (Moscou), 1963, n ° 2, p. 11. Le textE: russe ~u. discours de Khrennikov se trouve dans la Musique soviétique, 1964, n° 1. 34. Ibid. 35. Colin Mason : « Russia's Young Conservatives •• in The Guardian, 21 mars 1963. _ 36. C. Mason : « Anti-Music in Russia •• in The Guardian, 30 mars 1963. · 37. Craft : op. cit., p. 44 •.

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