B. SCHWARZ vinsky,. dont aucune ne figura aux programmes ; quant à Stravinsky, il se montrait sceptique à l'égard de la musique soviétique récente. « C'était cela, le véritable rideau de fer >~, confia-t-il à son partenaire Robert Craft, après un concert d'œuvres représentatives de cette école 27 • · La saison de 1962 à Moscou, qui s'était ouverte en septembre avec des concerts de Stravinsky, prit un tour cosmopolite. D' Amérique arrivèrent Yehudi Menuhin, le New York City Ballet et la chorale Robert Shaw. Des délégations de musiciens venues de France, de Grande-Bretagne et de Yougoslavie présentèrent leurs œuvres. Pendant dix jours, un festival organisé par de jeunes compositeurs soviétiques permit d'entendre quotidiennement plusieurs premières auditions. Trois théâtres lyriques montèrent des représentations alternées d'opéra et de ballet. Des concerts furent donnés plusieurs fois par semaine par les trois orchestres permanents de Moscou. Musique de chambre et récitals faisaient salle comble dans deux auditoriums presque tous· !es soirs. En outre, il y eut des cycles de conférences spécialisées, chacun durant plusieurs jours, sur des sujets tels que « Jazz et musique légère », « L'harmonie moderne », « Tradition et innovation dans les arts ». Cette dernière fut particulièrement intéressante, car les forces « libérales » y donnèrent le ton. Au mois de novembre se tint également une exposition rétrospective de peinture et de sculpture à la galerie du Manège, intitulée « 30 ans d'art moscovite », et la fameuse nouvelle d'Alexandre Soljénitsyne, Une journée d'Ivan Dénissovitch, fut publiée. Le Parti : fortissimo NuL ne prévoyait un changement dans le climat culturel. Or le changement vint, comme éclate un coup de tonnerre dans un ciel bleu. Au début du mois de décembre, Khrouchtchev v1s1ta l'exposition du Manège, notamment quelques salles d'art abstrait non ouvertes au public. Sa remarque brutale sur les abstractions « peinturlurées par la queue d'un âne » fit sensation 28 • Des artistes éminents furent sommés d'assister à deux réunions : la première, le 17 décembre, avec des membres du 27. Robert Craft : • Stravinsky's Return : A Russian Dlary •• in Encounter (Londres), Juin 1963, p. 44. Reproduit dan• 1. Stravinsky et R. Craft : Dialogues and a Diaru, New York 1963. 28. New York Tlme,, 4 déc. 1962. Biblioteca Gino Bianco 181 gouvernement y compris Khrouchtchev; la deuxième, le 26, avec la commission idéologique du Parti. Le président de ladite commission, Léonide Ilitchev, s'en prit vertement à certaines tendances et déclara : « Il n'y a jamais eu et il n'y aura jam.ais de coexistence pacifique entre l'idéologie socialiste et l'idéologie bourgeoise 29 • » Les intellectuels étaient si inquiets qu'ils adressèrent plusieurs lettres collectives à Khrouchtchev, lesquelles d'ailleurs furent bientôt retirées après certaines pressions exercées dans la coulisse. Le gros de l'attaque était dirigé contre les écrivains et les représentants des arts plastiques. Ilitchev ne fit que deux brèves allusions à la musique : il exprima sa réprobation devant les « hurlements sauvages du jazz » et la « difformité insensée » de la dodécaphonie. Afin d'étayer sa thèse, il appela Stravinsky à la rescousse : celui-ci aurait, paraît-il, tourné en ridicule les compositeurs « d'avant-garde » de Léningrad, jugés par lui de « pitoyables imitateurs dépourvus de talent ». (Il n'y a pas trace de pareil jugement dans le récit du voyage de Stravinsky en Russie par Robert Craft.) Chostakovitch fut, une fois de plus, victime de la myopie bureaucratique. Il dut retirer de l'affiche sa Treizième Symphonie, après une première triomphale le 18 décembre 1962. .Ayant assisté au concert, nous pouvons affirmer que l'œuvre, l'une des meilleures de Chostakovitch, n'est pas « formaliste ». Il semble que les difficultés aient surgi à propos des textes utilisés dans la symphonie - en réalité une cantate symphonique. Chostakovitch avait choisi cinq poèmes d'Evtouchenko, qu'il arrangea pour baryton solo, chœur pour hommes et orchestre. Sans constituer un « cycle », certains poèmes sont quelque peu apparentés par leur critique indirecte du passé stalinien. En particulier le premier mouvement, illustration musicale du fameux Babi Jar (protestation contre l'antisémitisme), souleva la réprobation officielle. Evtouchenko fut contraint de modifier son texte et Chostakovitch de le réadapter. Malgré cela, après qudques concerts en février et mars 1963, la Treizième Symphonie fut mise au rencart pour un temps indéterminé. Depuis, aucune audition publique n'en a été autorisée 30 • (Nous avons appris 29. Pravda, 22 et 26 déc. 1962. 30. Cf. Boris Schwarz : • Soviet Music since Stalln •• in Saturda11 Review (New York), SO mars 1963, pp. 55-56, alnsl que Leroy Wollns : • Sho1takovich and Babil Yar•• in Jewt,h Current,, sept. 1964, pp. 20-24.
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