revue ltistorÏIJUe t critique Jes /aitJ et JeJ iJées Mai-Juin 1967 Vol. XI, N° 3 LA ·FILLE DE STALINE par B. Souvarine Un homme libre qui refuse de s'incliner devant la force n'aura d'autre refuge en Europe que le pont d'un navire faisant voile pour l'Amérique. ALEXANDRE HERZEN. L E CINQUANTIÈME ANNIVERSAIRE du régime soviétique issu de la révolution d'Octobre ne sera pas commémoré exactement selon les desseins des parvenus de ce régime dégénéré en absolutisme obscurantiste. Il se pourrait que quelqu'un troublât la fête. En octobre doit paraître, en effet, un livre russe hors série qui n'aura pas été soumis au Glavlit, la ·censure communiste, et dont la seule annonce crée visiblement à Moscou un malaise dans les hautes sphères. ·Mais pourquoi ? L'auteur, homo sovieticus par excellence, offre toutes garanties d'origine, de sincérité, de probité, de sérieux et particulièrement de compétence en une matière qui est sa vie même. L'auteur est née pour ainsi dire au Kremlin, elle y a passé sa première enfance, elle a vécu dans le voisinage de cette forteresse sacrée, et au plus intime de la meilleure société soviétique. Fille et petite-fille de bolchéviks éprouvés de longue date, préservée avec soin de toute influence nocive, dans le giron du Komsomol et ensuite du Parti, élevée strictement dans les dogmes du « marxismeléninisme », nourrie exclusivement de prose et de poésie « prolétariennes », l'auteur est un pur produit de cet ordre nouveau dont le jubilé approche. De quoi s'inquiètent alors à ce propos les hommes de Moscou qui font trembler le monde? C'est que le livre en question sera publié sans l'imprimatur du Parti et d'abord, circonstance aggravante, aux Etats-Unis d'Amérique. Et que l'auteur prénommée Svetlana, portant le nom de sa mère Allilouieva, n'est autre que la Biblioteca Gino Bianco fille de Staline. « Le vrai peut quelquefois n'être pas vraisemblable », dit le poète. La fille de Staline a choisi la liberté. Elle jouissait pourtant de conditions privilégiées dans cette unique « société sans classes ». Or elle suffoquait au sein de la glorieuse « patrie du socialisme ». Comme des milliers et des millions d'êtres humains évadés de leur pays natal pour se soustraire à une oppression dégradante, elle a faussé compagnie à ses gardiens pleins de sollicitude. Il a fallu pour cela des circonstances extraordinaires au plein sens du terme, un_ enchaînement très révélateur de causes et d'effets qui répand une vive lumière sur les réalités du communisme, du régime soviétique et même du monde soi-disant libre dont le « camp du socialisme » dénonce l'animadversion et l'impérialisme. Pour qu'une mère qui chérit ses deux enfants comme une mère peut les chérir s'en arrache dans les conditions si spéciales que c~tte séparation-là implique, il a fallu des raisons irrésistibles. On les saura par son livre. En attendant, on sait déjà des choses intéressantes. Svetlana avait six ou sept ans quand sa mère Nadièjda est morte, victime de Staline, quelles qu'aient été les formes de cette tragédie puisque la version officielle est évidemment fausse. Elle ignore donc la vérité sur cette mort, car il est douteux que de rares initiés aient eu envie de l'en instruire plus tard. De rigoureuses précautions policières ont privé Svetlana de tout témoignage, de toute confidence, et sans doute ne faut-il pas attendre d'elle la moindre « révélation » à cet égard, du moins on le présume. Mais il s'avère que dans l'ordre matrimonial, elle a douloureusement souffert de plusieurs expériences qui en disent long sur le socialisme à la Staline. Une première fois, Svetlana a voulu se marier avec l'homme qu'elle aimait et Staline Je
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