B. SCHWARZ années, sa position changea. Les no~veaux auditeurs n'avaient nul besoin de condescendance : « Les masses veulent de la grande musique ( ... ), elles comprennent beaucoup mieux que certains compositeurs ne pensent ( ... ). Je considère comme une erreur de tendre à la simplification 12 • » · Alors que Prokofiev et les gens de sa génération avaient du mal à s'adapter, des compositeurs plus jeunes parlaient avec aisance la « nouvelle langue », mélange de traditionalisme russe, de thèmes de l'actualité soviétique et d'une forte dose de folklore. Parmi ceux qui se firent un nom au cours des années 30, Aram Khatchatourian, Dimitri Kabalevski et Tikhon Khrennikov, outre Chostakovitch, représentent aujourd'hui l'ancienne génération . , arr1vee. Peu avant l'invasion allemande, un pressentiment inspira plusieurs œuvres qui exaltaient, en se référant à l'histoire, la défense de la mère patrie. Le film de Serge Eisenstein, Alexandre Nevski (1939), qui dépeignait la défaite des Chevaliers teutoniques en 1242, fut l'occasion d'un grand succès pour Proko- - fiev, lequel en arrangea la musique sous forme de cantate. La même année, l9uri Chaporine fit jouer sa symphonie-cantate, Sur le champ de Kouliovo, commémorant la bataille de 1380 avec les Mongols. Tout au long de la « grande guerre patriotique » (1941-45), la vie musicale continua de se manifester avec une vigueur remarquable. Une bonne part des œuvres de cette période servait des buts patriotiques. Des compositions de grande envergure reflétaient l' ampleur de la lutte : la fameuse Septième Symphonie de Chostakovitch, dite « de Léningrad » (1941-42); la Cinquième Symphonie de Prokofiev (1944-45); l'oratorio de Chaporine, Saga de la bataille pour la terre russe ( 1943-44 ). Prokofiev écrivit également pendant ces sombres années l'opéra épique Guerre et Paix, d'après le chef-d'œuvre de Léon Tolstoï. La victoire de 1945 fut commémorée par des œuvres diverses, parmi lesquelles aucune ne sut rendre l'état d'âme euphorique du peuple soviétique. Glière écrivit une plate ouverture intitulée Victoire, Chostakovitch présenta sa Neuvième Symphonie que beaucoup trouvèrent décevante. Prokofiev dérouta son public avec une Ode à la fin de la guerre, à l'orches12. Ibid., p. 106. Biblioteca Gino Bianco 177 tration abstruse pour instruments à veut et à percussion, violoncelles, quatre pianos et huit harpes. Le jdanovisme LA FIN DE LA GUERRE engendra également un renouveau des controverses idéologiques. Les autorités étaient mécontentes de l'état des arts. Les dogmatistes du Parti, encore une fois conduits par André Jdanov, décidèrent de reprendre en main les affaires culturelles. Pendant l'automne de 1946, la littérature, le théâtre et le cinéma furent soumis à une critique publique par des résolutions du Parti. Pendant l'été de 1947, Jdanov s'en prit à la philosophie. En 1948, ce fut le tour de la musique. Cela commença par une conférence de trois jours en janvier, au cours de laquelle des musiciens de renom eurent des entretiens avec le Comité central. Le premier point à l'ordre du jour fut un débat sur Grande Amitié, un opéra du Géorgien Vano Mouradéli qui avait soulevé la réprobation du Comité lors d'une séance tenue à huis clos en décembre 1947. Jdanov donna le ton et, d'entrée, signifia que les torts de Mouradéli étaient comparables à ceux de Chostakovitch en 1936. Au cours de la discussion, la musique soviétique dans son ensemble fut soumise à un examen critique que Jdanov résuma par cette déclaration inquiétante : Les gens n'ont pas besoin d'une musique qu'ils ne peuvent pas comprendre. C'est à eux-mêmes que les compositeurs doivent s'en prendre, et non aux gens 13 • Le 10 février 1948, le Comité central publia une résolution « Sur l'opéra Grande Amitié, de V. Mouradéli ». L'œuvre était « confuse et disharmonieuse » et l'échec de Mouradéli « n'était pas un cas isolé( ... ), mais étroitement lié à l'état déplorable de la musique soviétique contemporaine ». Parmi les compositeurs accusés de « perversions formalistes et tendances antidémocratiques », figuraient Chostakovitch, Prokofiev, Khatchatourian, Chébaline, Miaskovski et Popov. (Remarquons que Kabalevski était épargné, bien que son nom ait été mentionné à Ja conférence de janvier.) Le péché des coupables consistait dans « le culte de l'atonalisme, de la dissonance et de la disharmonie », dans « un faible pour les sono13. André Jdanov : Essais sur la litt~rature, la philo- ·•ophit tl la musique, New York 1950, p. 92. (Le discours complet do Jdnnov à la conférence de 1948 est reproduit pp. 76-96).
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