Le Contrat Social - anno XI - n. 3 - mag.-giu. 1967

• • VICISSITUDES DE LA MUSIQUE SOVIÉTIQUE par Boris Schwarz POUR COMPRENDRE l'histoire de la musique soviétique, il faut connaître les rapports de cette dernière avec l'Etat et le Parti. Rapports qui impliquent des avantages mutuels, mais également des conflits douloureux. Le monde entier s'indigna lorsque Prokofiev et Chostakovitch furent publiquement réprimandés. A la source de ces heurts, il y a le fait que l'Etat est chargé de créer et d'entretenir les conditions permettant aux artistes de travailler ; ces conditions reposent sur certains concepts idéologiques considérés comme intangibles, concepts qui ne sont ·pas clairement définis et sont sujets à des réinterprétations périodiques, d'où les variations dans la politique culturelle. Dans le domaine de la musique, les réalisations de l'Etat soviétique sont assez impressionnantes. La vie musicale a été décentralisée et régénérée afin d'atteindre les régions les plus reculées. Toutes les formations musicales (opéra, ballets, ensembles folkloriques) reçoivent des subsides et sont logées dans d'excellents théâtres, souvent de construction récente. L'éducation musicale est pa1Jaitement organisée à tous les niveaux : il existe un vaste réseau d'écoles de musique pour les enfants, d'écoles secondaires de musique et de conservatoires, avec des facilités pour les sujets les plus doués. De cette manière, les jeunes musiciens (compositeurs, exécutants, professeurs et musicologues) sont formés aux frais de l'Etat afin de contribuer à l'enrichissement culturel de la population. Les Editions d'Etat sont chargées de publier des éditions savantes des grands compositeurs russes, de Glinka à Scriabine ; la nouvelle génération bénéficie de la Biblioteca Gino Bianco même attention. Les livres sur la musique, allant de la recherche savante à la vulgarisation, atteignent des tirages fabuleux. Inévitablement, le patronage des autorités à une si grande échelle entraîne le planisme et la surveillance, et dans un pays où l'idéologie est d'une extrême importance, cette surveillance devient facilement répressive. C'est pourquoi les autorités ont élaboré une politique destinée à canaliser la création musicale, à distinguer entre musique désirable et indésirable, à avoir l'œil sur la recherche et la critique, bref, à tout soumettre à la censure idéologique. On en était arrivé au point où des sujets purement académiques (mélodie et harmonie, style et tonalité) étaient réglementés par décret. Des commissaires culturels (Lounatcharski sous Lénine, Jdanov sous Staline, Ilitchev sous Khrouchtchev) étaient chargés d'expliquer et de faire appliquer les décisions du Parti. Ces décrets, bien que pris d'une manière collégiale, reflétaient ~ouvent, en réalité, les goûts personnels du chef suprême. C'est ainsi que Lénine, qui avait une prédilection pour la musique classique, empêcha une « prolétarisation » hâtive du goût musical. Les conceptions réactionnaires de Staline en la matière expliquent, dans une large mesure, la politique néfaste de 1936 et 1948. Le goût provincial de Khrouchtchev s'est donné libre cours dans son exposé du 8 mars 1963 ; et c'est sous son règne qu'après le « dégel » déferla la « vague de froid » de 1962-63. La direction collégiale d'aujourd'hui rejette le concept du dirigeant unique en tant qu'arbitre suprême dans les questions artistiques. Au moins pour un certain temps, cette attitude

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