K. PAPAIOANNOU qui lui est en même temps radicalement opposée » 48 • Comme disait Engels en 1846, « les fantômes d'une République européenne, d'une paix perpétuelle, sous une organisation politique, sont devenus tout aussi risibles que les belles phrases sur l'union des peuples sous l'égide du libre-échange ( ...). La bourgeoisie a dans chaque pays ses intérêts particuliers, et, comme pour elle il n'est rien de supérieur à ses intérêts, elle ne peut jamais s'élever audessus de l'esprit national ( ...). Mais les prolétaires ont dans tous les pays un seul et unique intérêt, un seul et même ennemi, mènent une seule et même bataille ; les prolétaires, dans leur grande majorité en tout cas, sont par nature sans préjugés nationaux et leur culture et leur mouvement sont essentiellement humanitaires et antinationaux. Seuls les prolétaires peuvent détruire l'esprit national; seul le réveil du prolétariat peut amener les différentes nations à fraterniser 49 • » On retr·ouve ici les grandioses anticipations du Alan if este : On reproche aux communistes de vouloir abolir la patrie, la nationalité. Les travailleurs n'ont pas de patrie. On ne peut leur dérober ce qu'ils ne possèdent pas. Le prolétariat doit évidemment commencer par s'emparer du pouvoir politique, s'ériger en classe [à l'échelle] nationale, se constituer lui-même en tant que nation. Par cet acte, il est, sans doute, encore national, mais nullement au sens de la bourgeoisie. Les particularités et les conflits nationaux des peuples s'effacent de plus en plus en même temps que se développent la bourgeoisie, la liberté du commerce, le - marché mondial, l'uniformité de la production industrielle et les conditions de vie qui en résultent. Le prolétariat au pouvoir les fera disparaître plus radicalement encore. Une des premières conditions de son émancipation, c'est l'action unifiée, tout au moins des travailleurs des pays civilisés. Dans la mesure où l'on supprime l'exploitation de l'homme par l'homme, on supprime l'exploitation d'une nation par une autre nation. En même temps que l'opposition des classes au sein des nations disparaît l'antagonisme des nations 40 • 48. DI, p. 60 (VI, 219). 49. Engels : La F~te des nation.'î à Londres, 1846; W, II, 614. 50. IV, 479 (Pl., p. 180). Biblioteca Gino Bianco 167 D'accord avec les libéraux, Marx croyait que l'extension du marché mondial et l'uniformisation croissante de la production et du mode de vie allaient sonner le glas des particularismes et des antagonismes nationaux. Si, dans son imagination, le prolétariat « n'avait pas de patrie », c'était parce que sa « conscience de classe » ne pouvait être que le miroir grossissant où se réfléchirait, tôt ou tard, le monde absolument nouveau, radicalement sans précédent, que créaient le capital cosmopolite et le marché apatride. De même que le capitalisme représentait une coupure absolue dans l'histoire des forces productives, de même les prolétaires seraient des hommes absolument nouveaux, sans lien aucun avec le passé, entièrement définis par l'avenir universel qu'ils portaient en eux. Dans _un monde où « la vapeur, l'électricité et la machine à tisser s'avèrent être des révolutionnaires autrement plus dangereux que Barbès, Raspail et Blanqui », seuls des « hommes nouveaux » pourraient mettre à profit les « forces neuves de la société » : « ces hommes nouveaux, dit Marx, ce sont les ouvriers - une classe dont l'émancipation sera aussi universelle que la domination du capital » 51 • Ni Marx ni Cobden n'ont eu le moindre pressentiment des fureurs nationalistes que la rencontre de l'industrialisme et de la démocratie allait susciter dans toutes les classes de la société, dans les classes moyennes que l'écono- ,misme manchestérien tenait pour congéni(alement pacifistes aussi bien que chez les ouvriers d'industrie que le marxisme avait messianiquement chargés d'une vocation universelle. Mais si Cobden s'est réfugié dans le silence devant l'écroulement de ses rêves, Marx et Engels, imbus de la foi hégélienne en la rationalité de l'événement, n'ont eu aucun mal à s'engager « dialectiquement » dans les vieux méandres de la politique de puissance. Mais cela est une autre histoire, une histoire étonnamment remplie de sound and fury, et fera l'objet de notre prochain article. KosTAS PAPAIOANNOU. 51. Marx : Discours prononcé à ln ft'le annuelle du People's Paper, avril 1856; XII, pp. 3-4.
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