164 mais des régions les plus éloignées et dont les ~ro~~its sont consommés non seulement dans le .pays d ori~e mais dans toutes les nations du monde. Les besoms anciens auxquels suffisaient les produits na!ion,aux sont remplacés par des besoins nouveaux qui réclament pour leur satisfaction les produits des pays· et des climats les plus lointains. On voit pourquoi Marx louait la bourgeoisie d'avoir créé l'histoire « réellement universelle ». La domination incontestée (qµ'il a crue incontestable) des « nations industrielles et civilisées de l'Occident · » sur les pays « agraires, barbares ou demi-civilisés de l'Orient .», la (future) .expansion universelle de la bourgeoisie (anglaise), la pénétration (anticipée) du capitalisme (encore embryonnaire) dans les pays agraires (qui représentaient alors les neuf dixièmes de la popt;1lation mondiale), tout cela le conduisit à considérer la- planète tout entière comme une « nation unique » où. les anciens pays indépendants se transformeraient (ou auraient déjà été transformés) en provinces é_conomiques rendues solidaires par la seule action de la divis"ïon internationale du travail._ C'est ce qui l'a incité à annoncer le dépérissement des antagonismes nationaux l'année mê!De où commençait l'ère des nationalismes Les démarcations et les antagonismes nationaux entre les peuples disparaissent de plus .e~ plus~ rie~ qu'avec le développement de la bourge01sie, la liberte du commerce le marché mondial, l'uniformisation de la production' industrielle et des conditions d'existence correspondantes. . De la même source coule le nouvel œcuménisme qu'annoncent les dithyrambes du Manifeste: L'ancien isolement local· et national où chaque pays se suffisait à lui-même fait place à des relations universelles . à une interdépendance universelle des nations. Et ce qui est vrai des produits matériels ne l'est pas .moins des produc_tionsde l'e~prit. Les. productions intellectuelles des diverses nattons deviennent une propriété commune à toutes. L'étroitesse d'esprit nationale l'exclusivisme national deviennent de plus en plus 'impossibles et . des no~breuses lit!ératures nationales et locales surgit une littérature uruverselle. Il est vrai que, dans son discours sur le libreéchange (1847), Marx avait couvert de sarcasmes les phantasmes hypocrites que les libéraux se faisaient au sujet de la division internationale du travail. Mais il n'en acceptait pas moins les postulats, voire les rêves les plus chimériques. Si, par exemple, les colonies brillent par leur absence dans le tableau que le Manifeste bross.e du monde nouveau de l'industrie et du commerce, c'est aussi parce que ses auteurs présupposaient déjà réalisées les thèses les plus hardies de la bourgeoisie radicale. Biblioteca Gino Bianco DÉBATS ET R.ECHERCHES Bourgeoisie et colonialisme .. ON CONNAIT l'hostilité- des libéràux envers~ les aventures impérialistes. Adversaires de tous privilèges économiques, ils préconisaient· -l'~xpansion commerciale maritime, 1:on_l'annexion de territoires étrangers ou la mainm1se sur des colonies. Adeptes du libre-échange, ils ne voyaient aucun• avantage économique à la souveraineté et n'éprouv~ient aucun plaisir ~ l'exaltation impériale. Déjà, Hume ·ne voyait dans les colonies que des causes de conflits onér~ux et vains et, durant tout le xvur siècle, l'India lobby - le plus extraordinaire lobby colonia~ qu'on ait jamais vu - n'a pas eu d'ennemi plus farouche que la « classe industrielle » dont parle Marx dans son Histoire de la Compagnie des Indes orientales 39 • Transformée par les hasards ·de la guerre de Sept Ans en une « puissance militaire et territoriale », _laCompagnie vit apparaître un nouvel ennemt, « non plus sous la forme de sociétés rivales » o~ ?e rajahs irrédentistes, « mais sous celle de mm1stres rivaux d'une nation rivale » : l'Angleterre. On allégua, ironise Marx, que « l'importation des cotonnades et des soiries des Indes orientales ruinait les pauvres manufacturiers anglais »... A cela, il faut ajouter qu'on s'indignait égalemènt contre l'oppression, la tyrannie et la corruption exercées, aussi bien en Inde que dans la métropole, par les agents de la Compagnie, dont les privilèges et les monopoles paraissaient appartenir à un âge à jamais révolu. Défenseur des colons américains contre la taxation anglaise, Burke ·était aussi l'ennemi acharné de la Compagnie des Indes orientales et de ses nababs. Cette tribu de vulgaires politiciens, disait-il, constitue les bas-fonds de l'espèce humaine. Il n'est - pas de métier si vil et si mécanique que le gouvernement dans leurs mains. La vertu n'est pas leur habitude. Toute ligne de conduite uniquement dictée par la conscience et l'honneur les fait sortir de _leurs , gonds. Une conception large, libérale et à longue vue des intérêts des Etats passe à leurs yeux pour du roman · et les principes qui la_ recommandent, pour des vagabondages d'une imagination débridée. Leurs combinaisons et leurs calculs les privent de la faculté de penser. Les plaisanteries des bouffons et des jon-. gleurs les détournent de tout ce qui est grand et élevé. La petitesse des- buts et des moyens leur paraît l'indice d'un esprit sain et rassis 40 • , . Marx croyait que derrière la lutte· du Parlement contre les nababs se · cachait le fait .sordide que « les ministres d'alors et la n~tion . 39. . W, IX, 149 (juin 1853). 40. Cf. Lord ·Morley : Edmund Burke, An Historical Criticism, 1867. Marx cite Burke dans W, IX, 187.
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