K. PAPAIOANNOU ses co~tradictions internes. Pour Marx, le capitalisme se situe d'emblée sur le plan du marché mondial ; il a été planétaire « avant » de devenir national et, par sa définition même, il rend sans objet la question de savoir où est la limite entre le marché intérieur et le marché extérieur. Aussi bien, la lutte pour les débouchés extérieurs n'a jamais revêtu à ses yeux la signification dramatiquement « impérialiste » que lui a prêtée Rosa Luxembourg, laquelle, d'ailleurs, n'a pu formuler son « interprétation économique de l'impérialisme » ( « l'accumulation capitaliste est impossible sans exploitation des économies précapitalistes ») qu'après avoir « renversé » les schémas marxiens de la reproduction élargie. Sur ce point, les conclusions de Lénine dans sa polémique contre le « romantisme économique » des sismondiens et des populistes valent aussi contre les théories modernes d'après lesquelles le capitalisme se serait lancé dans l'aventure impérialiste quand le marché métropolitain est devenu trop étroit : « La nécessité de chercher un marché extérieur ne démontre nullement la carence du capitalisme. Tout au contraire. Cette nécessité montre clairement le travail historiquement progressif du capitalisme qui détruit l'isolement, le caractère fermé des systèmes économiques traditionnels (et, par voie de conséquence, rétroitesse de la vie intellectuelle et politique) et qui réunit tous les pays du monde en un seul tout économique 25 • » • C'est le même travail « historiquement progressif » que Marx a vu s'accomplir dans le mécanisme des échanges internationaux. Bien entendu, dès le début de sa carrière, Marx a stigmatisé la phraséologie humanitariste des libre-échangistes. « Désigner, dit-il, sous le nom de fraternité universelle » un régime qui ne représente que l'exploitation portée à son « état cosmopolite », est un « soµhisme » bourgeois dont la vie se chargera de démontrer l'inanité. Car « tous les phénomènes destructeurs » que la libre concurrence fit naître à l'intérieur des frontières nationales se reproduiront « dans des proportions plus gigantesques sur le marché mondial ». Or c'est précisément dans ces « phénomènes destructeurs » que la bourgeoisie manifestera son rôle « éminemment révolutionnaire » : « Le système protectionniste est en général conservateur, tandis que le système du libre-échange est destructeur. Il dissout les anciennes nationalités et pousse à l'extrême l'an25. Lénine : u Développement du capitali11me en Hu11le, 1899; cf. K, Il, 587 (V, 206). Biblioteca Gino Bianco 161 tagonisme entre la bourgeoisie et le prolétariat. En un mot, il hâte la révolution sociale •~,;. » Nulle part Marx n'a étudié systématiquement cette « exploitation à l'état cosmopolite ~> qu'il voyait déjà instaurée sur l'ensemble du globe. La théorie de l'exploitation internationale qu'il esquisse dans le Capital ( dans le paragraphe consacré au commerce extérieur en tant que facteur contrecarrant la « loi de la baisse tendancielle du taux de profit ») se situe à l'intérieur de la théorie ricardienne des « avantages » ( ou coûts) comparés. Ricardo avait démontré que, dès que les productivités atteignent un certain degré de différenciation, les échanges internationaux offrent aux nations des avantages comparativement supérieurs à ceux qui résulteraient de la seule division interne du travail. Marx se contente de mettre en lumière le versant sombre de la démonstration ricardienne, mais il en accepte les postulats et les conclusions optimistes. Selon lui, l'exploitation d'un pays par un autre s'opère à travers l'échange parce qu'un pays techniquement peu évolué dépense en moyenne par unité de marchandises plus de travail qu'un pays de niveau technique plus développé. Dans l'échange d'équivalents apparents, le pays supérieurement outillé « reçoit plus de travail matérialisé in natura qu'il n'en fournit » 27 , s'approprie gratuitement une partie de la plus-value produite par les pays sous-développés, aliène une partie déterminée du surproduit de ces derniers. D'autre part, le pays exploité y a encore gagné, en dépit de l'exploitation, car il a obtenu des marchandises « à meilleur compte que s'il les produisait lui-même ». Cette transfusion de valeurs n'a rien de spécifiquement « impérialiste » : l'échange d'une moindre quantité de travail contre une quantité plus importante caractérise tout aussi bien les rapports qui s'établissent entre deux pays de productivité différente que ceux qui relient les différentes sphères économiques au sein d'un seul et même pays, par exemple la sphère industrielle et la sphère de la petite production paysanne ou artisanale. Elle n'a même rien de spécifiquement « capitaliste ». Ainsi Préobrajenski y verra la forme principale d' « accumulation socialiste primitive » par des moyens purement économiques (non violents). A partir du moment, disait-il, où la grande industrie se trouve concentrée « entre les mains d'un trust uni26. Marx : Di~cours .1ur le libre-échange 1818· lV IV, 456-58 (Pl., pp. 154-156). • • • 27. Cf. K, III, 265-66 (VI, 250-51). Nntnr<'llcmcnt chez Marx 11 s'agit de l'exploitation d'une cla.1s1> rt'explolteurs pnr une autre>. "
RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==