Débats et recherches MARX ET LA POLITIQUE INTERNATIONALE par Kostas Papaioannou I Marx et l'unité du monde DANS !'Histoire de Polybe, la troisième année de la cent-quarantième olympiade (217 av. J.-C.) apparaît comme une date privilégiée, faisant époque · dans l'histoire du genre humain. C'est à partir de cette date, dit Polybe, que l'histoire est devenue réellement universelle (catholikè), commune à tous les hommes (koinè), unie com- ,me un tout organique « à l'instar d'un corps vivant » (sonzatoeidès, I, 3) et que les affaires des différents pays commencèrent à concourir à une fin unique : pros hên télos. Jusque-là, les événements se produisaient en ordre dispersé (hôs sporadés), sur des plans différents et selon des principes nettement distincts (idiai arkhai, IV, 28). Telles furent encore les guerres gigantesques d'hégémonie qui dressèrent successivement les uns contre les autres tous les Etats ayant jadis été réunis dans l'Empire d'Alexandre, ainsi que les autres puissances qui prétendaient dominer la Méditerranée occidentale. A partir d'un certain moment, cette simple juxtaposition ( parathésis) des actions locales se mua brusquement en une formidable « conjonction » (symplokè) qui finit par créer une situation commune à tous les Etats (synteleia koinè) et les actions particulières « commencèrent à se combiner comme si elles aspiraient à produire une fin unique » (IV, 28). « La merveille de notre temps », conclut Polybe, est cette naissance de l'histoire universelle au confluent des histoires particulières. Désormais, il est légitime de parler des « actes communs de l'humanité » (XXXIX, 8) et la tâche de la science sera de montrer le « plan» dont la Fortune s'est servie pour « incliner dans un seul sens et faire converger Biblioteca Gino Bianco vers un seul et même but tous les événements de la terre » (I, 4 ). Nous savons aujourd'hui que cette auda- .cieuse anticipation (elle fut formulée un siècle et de1ni avant la bataille d'Actium) était largement fondée et que Polybe avait en un certain sens raison d'annoncer l'aube de l'histoire universelle. Pendant cinq siècles au moins une comn1unauté internationale telle que le monde n'en a pas depuis connue de pareille, la koinè gréco-latine (qu'il ne faut pas réduire au seul domaine impérial de Rome) a pu embrasser une .masse énorme de peuples, surmonter des particularismes millénaires et prospérer sur l'immense espace qui s'étend entre l'Atlantique et le Gange, le Danube et l'Afrique noire. Mais nous savons aussi que l' oikouménè d' Adrien et d'Apollonius de Tyane ne représentait qu'un fragment de l'histoire universelle. Pour ne s'en tenir qu'au Vieux Monde, les trois grandes cultures gréco-romaine, hindoue et chinoise ont seulement coexisté dans l'espace sans participer à un temps commun, chacune vivant à sa manière, satisfaite d'elle-même, autonome, quasi inconsciente- de ses contemporains. Il est vrai que ces trois empires se frôlèrent momentanément à Gandhara et dans le bassin du Tarim, et devant les ruines cosmopolites de Taxila, on ne peut s'empêcher de rêver à ce que serait l'histoire du monde si la tentative d'union entre le monde méditerranéen et l'Inde avait réussi de façon durable. Cependant- l'énergie des trois empires se détourna à la longue vers leurs propres domaines intérieurs. Rome arrêta son expansion sous le règne d'Adrien; sous la pression des Huns, la Chine se retira du Turkestan ; l'Inde des Goupta se replia sur ellemême ; enfin, avec les invasions barbares, le rêve
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