156 Je propose que dans le paragraphe 22 M des statuts on formule clairement toutes les garanties de défensequel' Union accorde à sesmembres exposés à la calomnie et aux poursuites injustifiées, ceci afin que la répétition des illégalités soit impossible. * * * SI LE CONGRÈSne reste pas indifférent à ce que j'ai dit, je lui demande de prêter attention aux interdictions et aux persécutions que j'ai subies moi-même : 1. Mon roman Dans le premier cercle m'a été enlevé il y a presque deux ans par la Sécurité d'Etat, ce qui m'a empêché de le soumettre aux éditeurs. En revanche, de mon vivant, contre ma volonté et même sans que j'en sois informé, ce livre a eu une édition « réservée» contre nature, pour lecture dans un milieu choisi, non défini. Mon roman a été rendu accessible aux fonctionnaires de la littérature, mais il a été caché à la majorité des écrivains. Je ne puis obtenir une discussion ouverte de cette œuvre dans les sections d'écrivains ni empêcher les abus ou les plagiats. 2. En même temps que ce roman, on m'~ enlevé mes archives littéraires assemblées depuis quinze ou vingt ans, des choses _qui n'étaient pas destinées à la publication. Maintenant, on diffuse en « éditions réservées», ·dans les mêmes milieux, des extraits tendancieux de ces archives. La pièce Le Ba"(lquet des vainqueurs, écrite en vers et que j'ai apprise par cœur dans le camp où je figurais sous quatre numéros différents (quand nous étions livrés à la mort, oubliés de la société, et qu'en dehors des camps personne ne s'élevait contre la répression), cette pièce que j'ai laissée loin derrière moi, elle est donnée maintenant comme mon œuvre la plus. récente. 3. Depuis trois ans déjà, on mène une campagne de calomnies irresponsable contre moi. Alors que j'ai fait toute la guerre comme chef de batterie et que j'ai obtenu des décorations militaires, on dit que j'ai passé .ce temps comme condamné de droit commun, ou encore que je me suis rendu à l'ennemi (je n'ai jamais été prisonnier), que j'ai « trahi la patrie», « servi les Allemands». C'est ainsi qu'on explique les onze ans que j'ai passés dans les camps et en exil, quand j'ai été pris pour avoir critiqué Staline. Cette calomnie est . répandue dans des réunions, sous forme de communications confidentielles, par des personnes qui occupent. des postes officiels. C'est en v·ain ·que j'ai essayé de mettre fin à la calomnie en m'adressant à l'Union des écrivains de la République russe et à la presse. La direction ne m'a même pas accusé réception de ma lettre et aucun journal n'a publié ma réponse aux calomniateurs. Au contraire, Biblioteca Gino Bianco -., LE CONTRAT SOCIAL l'année dernière, la calomnie répandue contre moi dèpuis les tribunes s'est renforcée, elle s'est aigrie;· on exploite en les déformant les matériaux des archives confisquées, et je suis mis dans l'impossibilité de répondre. 4. Mon récit Le Pavillon des cancéreux (vingt-cinq feuillets), qui a été recommandé à la publication (première partie) par la section de prose de l'Organisation des écrivains de Moscou, ne peut être édité ni par chapitres séparés (refusé par cinq revues) ni intégralement (refusé par Novy Mir, Zvezda et Prostor). 5. La pièce Le Renne et la Hutte, acceptée en 1962 par le Théâtre Sovremennik, n'a pas jusqu'à présent obtenu l'autorisation d'.être jouée. 6. Le scénario du film Les tanks connaissent ~ la vérité, la pièce La lumière qui est en toi, de petits récits (Le Pinceau vrai, la série des " Petits Bouts), ne trouvent ni metteur en scène ni éditeur. 7. Ceux de mes récits qui ont été .publiés dans la revue Novy Mir n'ont jamais été édités en volume. Partout on les a refusés (Editions de l' écrivain soviétique, Editions littéraires de l'Etat, Bibliothèque Ogoniok). De la sorte, ils resten~ inaccessibles au grand public. 8. En même temps,. on m'interdit tout autre contact avec mes lecteurs, la lecture publique de mes œuvres (en novembre 1966 on a interdit au dernier moment neuf séances sur les onze qui étaient prévues), les lectures à la radio. Le simple fait de prêter un manuscrit pour « lecture et copie» est réputé maintenant chez nous acte criminel (les vieux scribes russes pouvaient le faire, il y a cinq siècles). * * * AINSI on a définitivement étouffé mon œuvre, on l'a bâillonnée, calomniée. Le IVe Congrès de l'Union va-t-il, oui ou non, se charger de me_ défendre contre une _atteinte. aussi grossière· à mes droits d'auteur et ~ mes « autres» droits? Il me semble que le choix à faire n'est. pas sans importance pour l'avenir littéraire de plusieurs délégués. Je suis tranquille, assurément, parce qu'en toutes circonstances je remplis mon devoir d'écrivain et parce que je le remplirai avec plus de succès, d'une manière plus incontestable dans la mort que je ne le fais vivant. ~ Personne ne peut barrer la route à la vérité. Dans cette. voie, je suis prêt à· accepter la mort.· Mais tant de leçons nous apprendrontelles enfin qu'il ne faut pas arrêter la plume d'un écrivain tant qu'il est en vie? Pas une seule fois cela n'a embelli notre histoire. ALEXANDRE SOLJÉNITSYNE. · .
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