Le Contrat Social - anno XI - n. 3 - mag.-giu. 1967

154 publique : la vérité est incompatible avec ce pouvoir qui a pour assise le mensonge. L'épître est impubliable parce que le Parti a peur. Il a peur d~ la vérité, peur de l'intelligence, peur de l'esprit critique, peur d'Alexandre Soljénitsyne. L'auteur d'Une journée d'Ivan Denissovitch et de la Demeure de Matriona, qui au sortir d'un camp de concentration s'est. classé d'emblée dans la grande tradition, dans la grande lignée des écrivains russes, ne se borne pas à préconiser la suppression de la censure : il donne ses raisons, en termes mémorables. Son exposé des motifs, si digne, si sobre, si fortement argumenté, atteint sans recherche à une éloquence irrésistible. Aussi ne peut-on s'empêLE CONTRAT SOCIAL cher dé penser au J'accuse de Zola, malgré la différence de tenips, de milieu et de circonstances. Zola avait publié le cri de sa conscience à la première page de !'Aurore, de Clemenceau. Il s'attendait à susciter des haines, mais aussi des élans de solidarité, des concours et des dévouements. Il n'était pas seul. Soljénitsyne se lève, seul, avec son épître tapée à la machine. Soljénitsyne, seul, ·sans aide ni appui d'aucune sorte, se dresse non pas contre, mais devant le plus monstrueux des Etats totalitaires, son épître à la main. Il sait ce qu'il risque. Il s'attend à tout, surtout au pire. Mais il a fait son devoir, il a obéi à l'impératif catégorique de la morale humaine. Son épître dépasse l'événement littéraire, c'est un acte historique. Lettre au Congrès des écrivains soviétiques N/AYANT PAS ACCÈS à la tribune, je demande au congrès d'examiner les questions suivantes : 1. L'oppression, à la longue insupportable, que subit notre littérature, depuis des dizaines et des dizaines d'années, de la part de la censure et dont l'Union des écrivains ne peut plus s'accommoder. La censure, non prévue par la Constitution et donc illégale, la censure qui ne dit jamais · son nom, fait peser son joug sur la littérature sous l'appellation obscure de Glavlit. Elle donne à . des personnes sans culture la possibilité de prendre des mesures arbitraires contre des écrivains. La censure, cette survivance du Moyen Age, réussit, sorte de Mathusalem, à vivre presque jusqu'au xx1e siècle. Insaisissable, elle essaie de s'attribuer ce qui est intemporel et de séparer les bons livres des mauvais. On ne propose pas, on ne reconnaît pas à nos écrivains le droit d'exposer avant les autres leurs jugements sur la vie morale de l'homme et de la société, d'élucider à leur manière les problèmes sociaux ou l'expérience historique que notre pays a si profondément vécus. Des œuvres qui auraient pu. exprimer des pensées mûries dans le peuple, exercer en temps voulu et d'une façon précieuse une influence dans le domaine spirituel ou sur l'évolution de la conscience sociale, sont interdite$ ou déformées par la censure, à la_suite de calculs mesquins, égoïstes et à court terme au point de vue du peuple. Biblioteca Gino Bianco D'EXCELLENTSMANUSCRITdSe jeunes auteurs, encore tout à fait inconnus, sont aujourd'hui refusés par les rédactions pour la seule raison qu' « ils ne passeront pas». Beaucoup de membres de l'Union, voire les délégués à ce congrès, savent comment ils ont dû eu:tmêmes s'incliner sous les pressions de la censure, céder en ce qui concerne la structure, l'orientation de leurs ouvrages. Ils ont changé des chapitres, des pages, des paragraphes, des phrases; ils les ont édulcorés uniquement pour les voir imprimer et ils les ont ainsi irrémédiablement abîmés. Si on tient compte des particularités de la littérature, ces mutilations sont pernicieuses pour les œuvres de talent et tout à fait imperceptibles dans les autres. ·La meilleure partie de notre littérature vient au jour mutilée. En même temps, les étiquettes de la censure (« idéologiquement pernicieux», « erroné») sont peu durables. Elles passent et changent sous nos yeux. Dostoïevski lui-même, gloire de la littérature mondiale, pendant un certain temps on ne pouvait l'imprimer chez _nous (aujour: d'hui-encore on ne le publie pas intégralement). Il était exclu des programmes scolaires, on le rendait inaccessible au lecteur, on l'injuriait. Pendant combien d'années n'a-t-on pas considéré Essénine comme un « contre-révolutionnaire »? Et n'était-on pas puni de prison pour posséder ses livres? Maïakovski n'était-il pas un « anarchiste», un « houligan politique»? Pendant des décennies on a considéré comm ;

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