Le Contrat Social - anno XI - n. 3 - mag.-giu. 1967

J 152 évanouies s'affrontaient pour des objectifs dont les trois quarts sont réalisés de nos jours ? La méthode d'analyse appliquée par Marx dans son Capital pourra et devra rendre encore de grands services pour explorer la nouvelle formation économico-sociale dans laquelle nous vivons, ainsi que les économies et les sociétés si diverses des régions dites sous-développées. Mais si la méthode peut servir en gros, on aurait tort de procéder à la manière de Marx. Celui-ci recherchait des lois et des tendances, ce qui était parfaitement légitime en face d'un système sujet à des automatismes spontanés dont l'action débordait la volonté humaine. Dans nos économies occidentales d'aujourd'hui, le problème devra évidemment être abordé de manière différente.· La politique économique, science appliquée, l'emporte de plus en plus sur l'économie politique, science pure : de plus en plus, la volonté directrice de la société met en échec les automatismes. Un tout autre problème se pose en ce qui concerne les économies de derrière . le rideau de fer. Le « socialisme » soviétique et apparenté -ne saurait évidemment se prêter à aucune recherche de lois objectives puisque les lois édictées par les dictateurs entravent et -paralysent toute action spontanée des forces économiques. Cela ne veut évidemment pas dire. que l'activité économique, même totalitairement « planifiée », ne soit plus sujette à aucune loi objective. Il en est une, valable pour toute_s les formations économiques quelles qu'elles soient : celle de la rentabilité, liée étroitement à celle des proportions néce~saires entre lesdifférentes branches de l'activité _économique. Pour n'avoir pas respecté ces impératifs depuis les débuts de l'ère stalinienne, les hommes du Kremlin sont ·aujourd'hui à la recherche d'un nouvel équilibre pour leur économie en proie à une crise profonde. ,,. •• A PRÈS TOUT ce qui précède, le lecteµr pourrait avoir l'impression que le Capital a fait son temps, au même titre que la formation économique qu'il analyse. Pourtant les formations économico-socialesprésentes du monde libre sont issues par filiation organique .du capitalisme dont Marx a étudié les lois et les tendances. Si l'analyse de Marx a été correcte, l'analyse des économies contemporaines pourra et devra se rattacher, par filiation organique également, à celle-de Marx. Il ne s'agit point de partir du Capital tel qu'Engels l'a laissé ; il n'y a aucun vide entre 1894 et aujourd'hui. Les disciples ont développé les idées exposée~ BibliotecaGino Bianco \ ANNIVERSAIRE dans le Capital en tenant compte de nombreux faits nouveaux (monopoles, expansion impérialiste, rapports entre l'économie et l'Etat, concurrence mondiale, capital -financier, problèmes monétaires, rôle économique du militarisme) et en se préoccupant de questions· pratiques, notamment ·relative_s à la politique économ~que. A la parution du Capital, le mouvem~nt _socialiste et syndicaliste était bien trop · faible pour peser sur la politique économique, laquelle n'existait d'ailleurs guère : elle _passepar l'Etat, et l'Etat d'alors n'avait pas de fonctions_ économiques, ses budgets étaient si insignifiants par -rapport au revenu national que leurs incidences économiques étaient quasi nulles. · · La politique économique et sociale compte aujourd'hui parmi les préoccupations· essentiel- ., les du socialisme qui, dans la plupart des nations de l'Europe Jibre, assume des responsabilités gouvernementales où ne s'en trouve que provisoirement écarté. Depuis des années déjà, pratiquement depuis la fin de la dernière guerre, sa politique économique s'est avérée, dans l'ensemble, décevante et stérile, ce qui est l'une des causes, mais non la seule, de la stagnation, voire du reëul de ses forces. Ne ~er~it-ce pas que sa politique économique s'inspire encore trop de formules tirées du Capital d'il y a un siècle et qui ne « collent » plus à_la réalité d'aujourd'hui ? Il y a plus de trente ans déjà, Emile Vandervelde posait la question : « Nous faut-il changer de vocabulaire ? » et il y ré~n- - dait par l'affirmatiye. · Or les revendications de la politique économique du socialisme de nos jours se fondent toujours sur la structure des classes analysée - par Marx et disparue depùis longtemps. Elles continuent d'être axées sur une politique de nationalisations qui pouvait avoir sa raison d'être au· lendemain de l'autre guerre. Les « • nationalisateurs » d'aujourd'hui ·feraient bien de s'inspirer ·des avertissements prodigués alors par les Kautsky, Renner et Bauer. De même le travaillisme anglais, célèbre par son réformisme efficace, et qui veut à-tout prix être « à gauche >>, sur ses·vieux jours ... C'est en tènant compte des études, des recommandations et des mises en garde des continuateurs ·de· 1vlarxet en explorant la structure économique et l'anatomie sociale d'aujourd'hui, comme Marx le fit il ·y a un siècle, que le socialisme pourrait élaborer les principes d'une politique économiq'ue digne de ce nom. S'il s'en montrait incapable, il faudrait alors se demander si Marx n'a pas perdu son temps .!._ et sa vie - à écrire son Capital. LUCIEN LAURAT.

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