Le Contrat Social - anno XI - n. 3 - mag.-giu. 1967

L. LAURAT boutons et autres instruments de commande, se bornant à surveiller et à contrôler le fonctionnement de rouages infiniment compliqués. Tout comme la bourgeoisie, le prolétariat aurait besoin d'être redéfini de nos jours. La notion de « prolétaire » au sens marxien : celui qui vit de la vente de sa force de travail, va aujourd'hui depuis le « manœuvre-balai », en passant par les ouvriers les plus qualifiés et les employés surveillant des machines de bureau complexes, jusqu'aux technocrates bénéficiaires du salaire de direction. Cette généralisation du salariat, en quelque sorte une évolution vers le « pansalariat », a abouti à la dissolution, à la disparition, du prolétariat du temps du Capital. Il est dès lors permis de se demander - en supposant que Marx ait raison de rattacher les classes, donc les revenus, aux formes de propriété - si la propriété n'a pas subi elle aussi des modifications profondes. A l'évolution vers le « pansalariat » correspond, en effet, une évolution vers ce que l'on pourrait appeler la « panpropriété ». Le présent article risquant déjà de devenir trop long, nous renvoyons le lecteur à ce qu'ébauche notre étude précédente sur le libéralisme 9 : quel que soit le parchemin attestant tel ou tel droit de propriété, c'est la volonté de la représentation nationale (en démocratie bien entendu) qui décide, dans une mesure de plus en plus large, de l'emploi des moyens de production. Autrement dit, la propriété est en passe de devenir collective en ce qui concerne son utilisation 10 • Elle est devenue un no man's land sur lequel chacun veut exercer sa part de codétermination_. Dans ces conditions, la lutte des classes, réalité jadis, tend de plus en plus à devenir un slogan sans rapport avec les faits nouveaux. Si l'antagonisme de classes, au sens marxien du terme, est lié à la propriété et caractérisé par la polarisation qui en résulte, on doit constater aujourd'hui qu'à l'affrontement de classes opposées, se substituent de plus en plus des conflits entre catégories rivales. La polarisation s'efface devant une simple différenciation 11 • Ce processus n'est évidemment pas achevé : il y a encore des classes et, partant, des luttes de classes, mais ces heurts ne sont plus le phéno9. Vol. XI, n° 1, p. 20, première colonne. 10. Les paysans bretons barricadent les routes, les viticulteurs du Midi sont en révolte parce que la loi (bonne ou mauvaise, la question n'est pas là) les empêche de disposer librement de • leur • propriété. t 1. Qunnd les grèves de certain Pt salariés des servlce!it publics accablent l"immense majorité des travameurs - oh est la lutte des claHes? Quand ce11mêmes salariés, employé" de la collecllvllé nationale et non point d'un capital (Individuel ou anonyme), déclarent la guerre à leur employeur eollectl( - oh est la lutte des clnHes? Biblioteca Gino Bianco 151 mène central dans les sociétés évoluées du monde libre. Il est également permis de se demander si, malgré les apparences, la force de travail est toujours une marchandise comme elle l'était à l'époque de Marx et encore pendant le premier .tiers du XXe siècle, car il ne suffit pas d'appeler un revenu « salaire » ou « traitement », pour qu'il le soit aujourd'hui au sens où Marx entendait ce terme. Nous nous bornons pour l'instant à poser la question, car une analyse, même sommaire, exigerait un article à part. .. ,,. ,,. DANS CES CONDITIONS, il n'est point étonnant que dans les structures nouvelles de_ la propriété, des revenus et des classes, les lois et tendance~ énoncées par le Capital aient cessé d'opérer. Le progrès technique s'est prodigieusement accéléré, surtout depuis la fin de la dernière guerre. Si la loi de la « surpopulation relative » jouait encore, le progrès technique aurait engendré, à l'époque de l' « automation », un chômage d'une envergure explosive. La « baisse du salaire relatif » se serait muée en une chute vertigineuse. Il n'en a rien été. Les chiffres produits par M. Ernest Mandel 12 , qui n'est aucunement suspect de « réformisme » et qui passe plutôt pour sinophile, attestent qu'il y a, depuis près de trente ans, hausse du salaire relatif. La « baisse tendancielle du taux de .profit » appartient elle aussi au passé, et depuis la fin de la guerre les spasmes résultant de cette loi - les crises périodiques - ont perdu leur virulence, leur ampleur, voire leur périodicité, au point qu'il a fallu un nom nouveau pour caractériser ces faibles fluctuations, appelées désormais « récessions ». Vingt-deux ans sont un délai assez long pour la vérification d'un phénomène qui s'était reproduit quatorze fois entre 1825 et 1938 à des intervalles de sept à onze ans. Toutes ces constatations permettent de dire que si les mécanismes indiqués par Marx ne jouent plus, alors qu'ils l'ont fait jusqu'au début de la dernière guerre, c'est parce que la formation économique analysée dans le Capital a disparu. Le capitalisme a cessé d'exister. du moins celui que Marx a disséqué. Nous laissons aux amateurs d'appellations contrôlées le soin de conserver ce nom ou d'en trouver un autre ; ne vaudrait-il pas mieux renoncer à un terme qui ne répond plus à ce qu'il désignait à une époque où des classes sociales aujourd'hui 12. Traité d'rconomie marxiste, t. 1, p. 183.

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