Le Contrat Social - anno XI - n. 3 - mag.-giu. 1967

150 bonne moitié ne constituaient pas ce prolétariat depuis longtemps organisé, discipliné et éclairé sur _lequel Marx avait compté : c'étaient des « exogènes », artisans, ·paysans, petits commerçants, existences prolétarisées et paupérisées de la dernière heure. La capitalisme réel. fonctionna . en dernière analyse autrement que le capitalisme pur analysé par Marx. Malgré certains efforts louables, ses disciples sérieux n'avaient pas assez tenté d'introduire les éléments exogènes dans son analyse. Souvent coalisées, les cohues fasciste et bolchéviste l'emportèrent sur l'armée disciplinée du socialisme et du syndicalisme démocratiques. La suite est connue 7 • PEUT-ÊTRE ne faut-il pas incriminer que les facteurs extra-capitalistes. N'y aurait-il pas lieu de se demander s'il n'existe pas un hiatus entre l'analyse économique de Marx et l'analyse sociologique qui en dérive ? Les classes que Marx a si bien définies dans leur structure économique se sont différenciées à l'infini dans leur structure sociale interne. Celle de la classe capitaliste s'est, d'abord, conformée dans son évolution aux prévisions. La séparation entre capital actif et capital sans fonction, déjà entrevue au tome III du Capital} est devenue de plus en plus nette ; le « salaire de direction » est devenu dans les ·principales branches économiques une catégorie indépendante qui s'oppose au capital sans fonction et, dans la concurrence, même au capital' actif ; tout en faisant économiquement partie de la classe salariée, cette catégorie s'en distingue sociologiquement de la façon la plus tranchée, et c'est à ·elle que s'applique la notion, assez récente d'ailleurs, de « technocratie ». · Cependant, la catégorie du capital sans fonction - les capitalistes prêteurs vivant de l'intérêt (ou des dividendes) sans prendre une part active à la direction du processus économique - n'est plus ce qu'elle fut à l'époque de Marx, ou même jusqu'à l'autre guerre. De moins en moins nombreux sont ceux qui vivent, comme on disait, « de leurs rentes ». Un.e fraction croissante du total des intérêts, revenu de cette sous-classe, se -répartit aujourd'hui entre un nombre infini"d'épargnants m~destes, soit individuels, soit collectifs (cotisants de compagnies d'assurances privées ou nationalisées, de mutuelles, de la Sécurité sociale, etc., et est ainsi 7. Dès 1939, dans notre li'v.re Le marxisme en faillite'/ nous avons mis en relief la différence entre ces • deux prolétariats •, l'un moderne, l'autre parasitaire comme celui de l'ancienne Rome. · · · BibliotecaGino·Biarico· ANNIVERSAIRE. ' devenue un fonds d'assurance qui ne saurait - être considéré comme revenu du capital, à moins de supposer que ces modestes cotisants ou souscripteurs; pour la plupart salariés, s'exploitent eux-mêmes 8 • Le processus de dislocation sociale des catégories bénéficiaires de la plus-value va aujourd'hui au-delà de tout ce que Marx a prévu (il en a pourtant signalé les débuts) sur le platJ économique. A plus forte raison convient-il de se demander ce qu'est devenue la . physionomie, ;ociologique de ces bénéficiaires. qu'on appelait jadis « la bourgeoisie ». De nos jours aussi, il y a une bourgeoisie, c'est certain ; mais son anatomie, sa substance et son mode de vie se sont bien plus modifiés encore que les sources de revenus de ses catégories constitutives d'au- " trefois. Celui qui parle aujourd'hui de « bourgeoisie », que ce soit pour en exalter les vertus ou. pour en condamner lés vices, devrait tout d'abord en redéfinir la notion et la redéfinir autrement que Marx. Des modifications tout aussi sensibles se sont produites du côté de ce que Marx appelait lè prolétariat. Là aussi, les changements furent d'abord mineurs. Pour Marx, « prolétaire » était encore synonyme d'ouvrier manuel. Les prolétaires en faux-col se comptaient en nombre infime. Mais quand celui-ci s'accrut vers la , fin du siècle dernier, on ne les considérait que comme une catégorie annexe du prolétariat, dont la mentalité - étant donné leur origine le plus souvent petite-bourgeoise - allait ' s'adapter graduellement à celle des ouvriers. Pour l'analyse économique, ils étaient effecti- ' vement des prolétaires selon la définition marxiènne : ils n'avaient, pour vivré, qu'une seule marchandise à vendre - leur force de travail. Ils connurent d'ailleurs le même sort que les manuels : le chômage en temps de crise d'abord, le chômage permanent ensuite. Les faits ont démontré qu'ils se sont syndiqués et que leurs syndicats agirent le plus souvent de concert avec les syndicats ouvriers. - Mais la situation changea lorsque, vers 1925, on s'aperçut que les employés se multipliaient alors que le nombre des manuels, après être demeuré stagnant, marquait une régression. Il en fut souvent question dans les publications socialist~s des années 30. Aujourd'hui, il ne s'agit plus que des employés de bureau : les techniciens foisonnent et une fraction croissante· d'ouvriers, manuels· au moment de leur apprentissage, ont troqué leurs· salopettes contre dés blouses blanches et manipulent des leviers, des s·. Cf. op. cit., chap. IV/2.

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